Page:L'Humanité nouvelle, année 1, tome 1, volume 1.djvu/461

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

de café. Son veston était tacheté de neige fondue. Et une épaisse vapeur montait de ses épaules.

— Est-il lâche ce Vanka ! cria Bachka en une pose tragique au milieu de la pièce. Ce coquin cornu sait bien ce que l’on souffre. Et il ne lui viendrait pas à l’idée de nous offrir une gorgée, le contenu d’un dé de femme !

— Pour ça, mon cher, tu n’as pas raison, affirma Kornilytch. Comment veux-tu qu’il nous offre à boire à tous ? Et que deviendrions-nous sans Vanka ?… Nous péririons, tout simplement, comme de misérables larves…

Bachka se soulagea d’un gros juron mais donna raison à Kornilytch. Celui-ci, en toutes circonstances, cherchait à excuser les gens, même si sa propre personne était enjeu. Il avait la mine chiffonnée, très éveillée, l’air bon enfant. Ses cheveux en brosse l’avait fait surnommer « le Hérissé. » Pas fier, il savait l’art de faire connaissance et d’entamer conversation. C’était le boute-en-train indispensable en toute bonne compagnie.

— Et la neige ? demanda Bachka absorbé en de nouvelles combinaisons.

— La neige !… Avec ce sacré temps !… Mais elle nous aveugle. J’en ai plein mon collet… Brr !… À propos, tu n’as pas de tabac ?… Eh bien, c’est pas la peine. On s’en passera…

Malgré l’air vicié de la salle, ses murs affaissés, humides, malpropres, son plancher maculé et sale comme dans une écurie, malgré l’atmosphère saturée des miasmes et odeurs spéciales aux cabarets, le Hérissé, content d’être tiré d’affaire, goûtait le bien-être relatif de la douce chaleur. À pleins poumons il absorbait cet air vicié, imprégné de l’acre senteur du goudron, de l’alcool, de l’ail et du tabac… Quelques chaises disjointes, une table de bois blanc meublaient seuls ce salon réservé.

— Tiens ! les amis sont déjà là ! s’exclame, en entrant, un homme vêtu en paysan, trapu, les épaules larges, la barbe rousse, l’œil louche et clignotant, ce qui lui donnait l’air suspect.

— Quel temps de chien ! Et dire qu’il faut battre cette marmelade gluante sans rencontrer âme vivante !… Avec ça une faim de loup, les enfants !…

— Pas de quoi fumer et le drôle vient nous parler man-