Page:L'Humanité nouvelle, année 1, tome 1, volume 1.djvu/466

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Attendant que son tour vint, Bachka dut stationner une heure entière au milieu de cette foule. Les membres engourdis, grelottant, il avançait lentement. En vain il essayait de se réchauffer en battant de la semelle.

Il était à bout du calorique animal mesuré à tout organisme humain. Ses dents claquaient, et comme il regardait le concierge, cet homme bien nourri, à la face ronde, qui semblait prendre un malin plaisir à laisser passer lentement ceux qui étaient, enfin, arrivés, il se sentit envahir par une haine féroce contre lui. Ce portier, d’une voix criarde et sifflante, insultait ces malheureux en les repoussant d’un air méprisant.

— Arrière ! leur commandait ce serviteur trop zélé en étalant son gros ventre qui masquait la porte. Arrière, sans quoi je vais prévenir Anphusa Parthénovna, qui elle-même vous fera déguerpir d’ici… Allons, arrière donc, ou je vous balaie !

— Eh ! Va donc ! Ne fais pas ton personnage ! Tu n’es pas un si gros légume, lui répondit une petite vieille bonne femme à la figure d’oiseau, très vive dans tous ses mouvements. Nous ne venons pas chez toi.

— Vas-tu continuer longtemps sur ce ton ? reprend le concierge en pesant ses paroles d’un air indolent, voici Anphusa Parthénovna qui est sur le perron…

Enfin, c’est le tour de Bachka. D’une main il se tient déjà à la barre, tout en affectant de ne pas voir ce détestable concierge dont l’aspect seul l’énerve, comme le loup affamé s’irrite en voyant un chien de garde bien nourri. Le sentiment pénible d’humiliation que Bachka éprouve en ce moment, l’excite davantage contre ce portier qui n’est absolument pour rien dans toute son histoire ; il voudrait l’avoir sous la dent pour le mettre en pièces. Il porta ses regards dans le fond de la cour et son attention se concentra sur la confortable installation du riche. La cour fraîchement sablée est d’un ton chaud, jaunâtre, qui égaye l’œil. Les annexes de la maison sont solidement bâties : un chien de garde est enchaîné dans sa niche près des magasins ; un fringant cheval est attelé à une voiture toute brillante de vernis ; à gauche un perron vitré et sur ce perron, à l’abri du vent et de la neige, se tient Anphusa Parthénovna elle même, vêtue d’une riche pelisse de renard, et d’un geste grave, elle tend la part de chaque pauvre à mesure qu’il avance vers