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manqué. L’orgueil lui rongeait lentement le cœur comme un mal contagieux qui détruit l’organisme sous une pression latente. Il s’adonnait à la boisson, c’est vrai ; il buvait déjà à l’âge de douze ans. Mais qu’était l’alcool pour cette nature de fer ? Étreint par une tristesse continuelle, il y cherchait l’oubli. Le succès même, loin de le réjouir, le plongeait dans le marasme. Dans son génie il se sentait la force de déplacer une montagne, et en réalité il ne faisait qu’attraper des souris, comme il le disait lui-même. Et c’est la conscience de sa force et de sa supériorité qui le perdit comme tant d’autres hommes de talent qui, fatalement furent réduits au « même dénominateur », comme il appelait l’alcoolisme.

Bachka, dans ses dissertations, aimait à citer ce mot du bogatyr Sviatogor,[1] « La force de l’homme écrase l’homme comme un lourd fardeau. » Il faut savoir comprendre cela, ajoutait-il.

Dans la vie de Bachka, il y avait une lacune que l’on ne saurait s’expliquer. La femme, à ses yeux, n’était qu’une triste nécessité imposée par les lois physiologiques ; l’auréole dont les poètes de tous temps l’ont entourée, qu’une drôlerie, une absurdité, un non sens. Cet être vulgaire, cette race querelleuse ne présente dans la nature qu’une forme transitoire et, comme telle, accuse toutes les imperfections d’une existence intérimaire.

Au point de vue physique, il ressentait pour elle la répugnance, le mépris nourri chez lui depuis sa première jeunesse et qui l’avait suivi pas à pas dans toute sa vie pénible.

En sa qualité de philosophe, Bachka haïssait la femme, comme le forçat hait la chaîne même qu’il voit porter aux autres. L’idée de l’amour ne l’avait jamais hanté, il n’éprouvait pas la moindre aspiration pour ce sentiment naturel et vivait en véritable ascète.

En effet, ayant à peine connu sa mère, il ne se rappelait pas les tendres soins, les douces caresses qu’il reçut dans son enfance ; il grandit en sauvage et ne rêvait qu’à la vie monastique.

Le hasard jetant La-Figure et Médaillon sur son passage, cette rencontre fit naître en lui un sentiment dualiste. Son mépris pour La-Figure grandissait à mesure qu’il l’appréciait

  1. Personnage légendaire doué d’une force surhumaine. Traduct.