Page:L'année sociologique, tome 9, 1904-1905.djvu/12

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changements linguistiques (voy. E. Herzog, Streitfragen der romanischen Philologie, I).

En ce qui concerne spécialement le changement de sens, une circonstance importante est que le mot, soit prononcé, soit entendu, n’éveille presque jamais l’image de l’objet ou de l’acte dont il est le signe ; comme l’a si justement dit M. Paulhan cité par M. Leroy, Le langage, p. 97 : « comprendre un mot, une phrase, ce n’est pas avoir l’image des objets réels que représente ce mot ou cette phrase, mais bien sentir en soi un faible réveil des tendances de toute nature qu’éveillerait la perception des objets représentés par le mot ». Une image aussi peu évoquée, et aussi peu précisément, est par là même sujette à se modifier sans grande résistance.

Tous les changements de forme ou d’emploi que subissent les mots contribuent indirectement aux changements du sens. Aussi longtemps qu’un mot reste associé à un groupe défini de formations, il est tenu par la valeur générale du type, et sa signification garde par suite une certaine fixité ; mais, si par quelque raison que ce soit, le groupe se disloque, les divers éléments qui le constituent, n’étant plus soutenus les uns par les autres, sont exposés à subir l’action des influences diverses qui tendent à modifier le sens. Soit par exemple le mot latin vivus : il est en latin inséparable du verbe vivere, du substantif vita, etc., et, par suite ne saurait d’aucune manière perdre le sens de « vivant ». Mais du jour où la prononciation a, comme en français, séparé l’adjectif vif du verbe vivre et où la communauté de formation avec le mot vie a cessé d’être perceptible, une nuance de sens qui existait déjà en latin, celle de « mobile, animé », a pu prendre le dessus. — Un mot tel que tegmen, qui relève d’un type de formation productif en latin, est par là même inséparable du verbe tegere et garde le sens général de « couverture ». Au contraire un substantif tel que tectum, dont le type de formation n’est plus productif en latin, peut recevoir un sens spécialisé, celui de « toit » ; un autre substantif, appartenant à ce type de formation également improductif dans la même langue, tegula, a pris un sens plus étroitement spécialisé encore, celui de « tuile » ; enfin toga, qui est une formation très ancienne et presque unique en son genre en latin, a le sens le plus éloigné de celui du groupe principal constitué par tegere, tegmen, et désigne une sorte de vêtement. — En latin, le mot capticus était étroitement associé à capere, captus, etc., et le sens de « captif » ne