Page:L'année sociologique, tome 9, 1904-1905.djvu/38

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avec quelque probabilité la série successive des emprunts par lesquels le sens des mots s’est progressivement transformé, mais des exemples tels que celui-ci indiquent au moins en quelle direction on a chance d’apercevoir l’explication des changements qu’on constate d’une période linguistique à une autre.

Toutefois on ne saurait démêler les actions et réactions complexes auxquelles sont dus les changements de sens, là où l’histoire des faits n’est pas exactement connue. Sans des témoignages historiques détaillés on n’aurait sans doute pu arriver à reconnaître comment, c’est-à-dire dans quels groupes sociaux, un mot qui signifiait en latin « tambour » a pu prendre en français le sens de « timbre-poste » (voir A. Darmesteter, Vie des mots, p. 81 et suiv., sur le mot timbre). Par le fait même qu’ils dépendent immédiatement de causes extérieures à la langue, les changements sémantiques ne se laissent pas restituer par des hypothèses proprement linguistiques.

Il est dès lors impossible, on l’a vu, de donner une démonstration en règle de la théorie proposée ici ; cette démonstration ne pourrait résulter que de l’examen de tous les changements de sens constatés dans une langue donnée entre deux périodes données et de la constatation que tout ce qui ne s’explique pas par des causes proprement linguistiques ou par des changements des choses désignées provient du passage des mots de langues particulières à la langue commune ou du passage inverse de la langue commune à une langue particulière ; pareille constatation est irréalisable en l’état actuel des connaissances car on n’a sur aucun domaine linguistique, le moyen de procéder à un examen complet de cette sorte. Mais là même où aucune indication de fait ne permet de marquer par quelle série d’emprunts intérieurs un mot a changé de sens, la possibilité de ces passages demeure vraisemblable la plupart du temps, et on est obligé de les supposer si l’on ne veut pas admettre que les générations successives ont par pur caprice associé des notions différentes à un seul et même mot. Les conditions psychiques de la sémantique sont constantes : elles sont les mêmes dans les diverses langues et aux diverses périodes d’une même langue ; si donc on veut expliquer la variation, il faut introduire la considération d’un élément variable lui-même, et, étant données les conditions du langage, cet élément ne peut être que la structure de la société où est parlée la langue considérée.