Page:L'année sociologique, tome 9, 1904-1905.djvu/39

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IV


Ces principes une fois posés, la méthode qu’il convient d’appliquer dans l’étude de la sémantique ressort, semble-t-il, assez nettement. En présence d’un mot donné il convient d’examiner tout d’abord la forme du mot et son degré d’isolement dans la langue ; un mot isolé se comporte autrement qu’un mot qui fait partie d’un groupe ; il faut d’autre part se rendre compte de l’influence possible de la forme, du rôle dans la phrase des associations phoniques qu’il éveille (voir Grammont, Onomatopées et mots expressifs, Revue des langues romanes, XLIV, 97 et suiv.). En second lieu, on doit suivre l’histoire des choses signifiées, qui réagit sur le mot et sur ses connexions avec le reste du vocabulaire. Enfin, et surtout, il faut marquer par quels groupes sociaux le mot a été transmis, passant d’une langue particulière à la langue générale, ou inversement, ou même d’une langue particulière à une autre langue particulière. Ce sont là autant de procès distincts, que l’analyse doit isoler, car ils sont d’espèces différentes : mais dans la réalité ces diverses actions ne se séparent pas les unes des autres ; elles s’appliquent à un même mot tantôt simultanément et tantôt successivement ; elles se contrarient en s’ajoutant les unes aux autres, elles se combinent de telle sorte qu’il devient souvent malaisé de marquer ce qui revient à chacune d’elles. De plus les passages de la langue commune aux langues particulières sont en grande partie insaisissables ; car il n’y a nulle part de limite précise entre les langues particulières et la langue commune, et dans la mesure où la différence se laisse préciser, il y a réaction constante du vocabulaire commun sur les vocabulaires particuliers et des vocabulaires particuliers sur le vocabulaire commun : ce n’est que par abstraction qu’on a pu ci-dessus isoler le passage du mot de la langue commune dans un vocabulaire particulier ou inversement ; dans la plupart des cas, le passage est incessant, et il y a va et vient du mot entre les deux vocabulaires. Les complications qui résultent du croisement de tous ces faits d’espèces variées sont inextricables d’autant plus que chaque procès comporte un nombre illimité d’actions autonomes de chacune des trois espèces définies au début de ce travail. Et de plus ce n’est que par hypothèse