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L'INDIVIDU

découvrir, dans chaque patient, les caractères de son individualité, sa résistance propre à l'agent pathogène, le degré de sa sensibilité à la douleur, la valeur de toutes ses activités organiques, son passé et son avenir. Ce n'est pas par le calcul des probabilités qu’il doit prédire le futur d’un individu, mais par une analyse profonde de sa personnalité humorale, tissulaire et psychologique. En somme, la médecine, quand elle se limite à l'étude des maladies, s’ampute d'une partie d’elle-même.

Beaucoup de médecins s’obstinent à ne poursuivre que des abstractions. D’autres, cependant, croient que la connaissance du malade est aussi importante que celle de la maladie. Les premiers veulent rester dans le domaine des symboles, les autres sentent la nécessité d'appréhender le concret. On voit donc se réveiller, autour des Écoles de médecine, la vieille querelle des réalistes et des nominalistes. La médecine scientifique, établie dans ses palais, défend comme l’Église du moyen âge la réalité des Universaux. Elle anathématise les nominalistes qui, à l'exemple d’Abélerd, considèrent les Universaux et les maladies comme des créations de notre esprit, et les malades comme la seule réalité. En vérité, la médecine doit être à la fois réaliste et nominaliste. Il faut qu’elle étudie l'individu aussi bien que la maladie. Peut-être la méfiance que le public éprouve de plus en plus à son égard, l’inefficacité et parfois le ridicule de la thérapeutique, sont-ils dus à la confusion des symboles indispensables à l'édification des sciences médicales, et du patient concret. L'insuccès des médecins vient de ce qu’ils vivent dans un monde imaginaire. Ils voient dans leurs malades les maladies décrites dans les traités de médecine. Ils sont les victimes de la croyance en la réalité des Universaux.