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Page:L'oeuvre du Divin-Aretin - Partie I.djvu/141

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LES RAGIONAMENTI

ferai tout ce que vous voudrez. » Sa colère lui fondait dans la poêle, à ces mots, il me baisait plein de joie en me disant : « Cela ne te fera pas de mal, pas plus qu’une piqûre de mouche ; vrai, tu vas voir comme j’irai doucement. » Je le laissai entrer le tiers d’une fève et le plantai là. Il se mit alors dans une telle fureur que, se rejetant au bord du lit, la tête en avant et le cul en l’air, les genoux pliés, il se fit passer à l’aide de la main la rage qu’il voulait assouvir sur moi, et après avoir fait tout seul ce qu’il devait faire avec moi, il se leva, s’habilla et n’eut pas longtemps à se promener par la chambre ; la nuit, que je lui avais fait passer à la façon d’un épervier, s’acheva bientôt, lui laissant un visage amer, semblable à celui d’un joueur qui a perdu son argent et son sommeil. Avec ces blasphèmes d’un homme que sa maîtresse a mis à la porte, il ouvrit la fenêtre, s’y appuya du coude et, la main à la mâchoire, contempla le Tibre, qui avait l’air de rire de ce qu’il s’était secoué l’histoire. Après avoir dormi tout le temps qu’il mit à méditer, j’ouvris les yeux et j’allais me lever, quand il se jeta sur moi, et je ne sais si jamais nécromant conjura les esprits à l’aide d’autant de paroles qu’il m’en dit, toutes aussi vaines que sont les espérances des exilés. À la fin, il voulut se contenter d’un baiser, je lui refusai même le baiser, et, comme j’entendais ma mère causer avec la patronne, je l’appelai. En lui ouvrant : « Quel guet-apens est-ce là ? s’écria-t-il ; on ne ferait pas pire à Bacano ! » Il élevait la voix ; la patronne le consola : « C’est le diable, dit-elle, d’avoir affaire à des pucelles ! » Pendant ce temps-là, je rentrai dans ma chambre et le laissai bavarder avec elle. Le pauvret, aussi obstiné qu’un joueur qui veut rattraper son argent, sortit de la maison et, une heure après peut-être, envoya un tailleur avec une pièce de soie verte pour me prendre mesure et m’en coudre une robe, persuadé que la nuit suivante il pourrait courir la poste à sa guise. J’accepte le présent, mais je ne m’en attache que mieux aux recommandations de ma mère, qui me dit, à la vue du cadeau : « Le marteau le travaille ; tiens bon. Il te louera une maison, t’achètera des