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Page:L'oeuvre du Divin-Aretin - Partie I.djvu/152

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L’ŒUVRE DU DIVIN ARÉTIN

agir en gentilhomme que de vouloir violenter les personnes. » Je voulais ajouter encore autre chose ; mon lourdaud me tira par la robe et me dit : « Non, pas un mot de plus, si tu ne veux pas que je sois coupé en morceaux par les Espagnols. » Il me força de rentrer et me rendit plus de grâces pour l’estime que j’avais montré faire de lui que n’en rendent ceux qui sortent de prison, lorsque les sergents leur donnent la liberté, à la fête du milieu d’août. Le matin, il me fit faire une robe de satin orange magnifique, et lui, tu ne l’aurais pas rencontré dans les rues une fois l’Ave Maria sonné, quand tu lui aurais offert un royaume, tant il avait peur des Espagnols et craignait que l’Ambassadeur ne lui fit faire un X sur la figure. À tout propos il s’écriait : « Je puis te le dire, ma maîtresse, la une telle, les arrange bien, ces Ambassadeurs ! »

Antonia. — Pourquoi disait-il cela ?

Nanna. — Parce que je lui faisais accroire que j’en avais planté là neuf à la file, sous l’escalier, en plein mois de janvier, les forçant de faire le pied de grue jusqu’à l’aube. — « Telle nuit, lui jurais-je, que tu étais couché avec moi, un tel se la secouait dans la cave ; la nuit d’après, un tel contait fleurette au puits, dans la cour. » Et lui bien aise ! Pour que je n’eusse pas la tentation de devenir Ambassadrice, il redoubla de cadeaux, disait à tout le monde : « C’est moi qui suis son obligé, suffit. »

Antonia. — Gentilles roueries !

Nanna. — Celle-ci vaut mieux. Je couchais souvent avec un certain secoue-panaches qui, lorsqu’on lui disait : « Méfie-toi d’une telle » se mettait à dire : « Moi ? ah ! c’est à moi que vous parlez ? Ah ! en garnison, à Sienne, à Gênes, à Plaisance, je m’en suis donné quelque peu ; mon argent n’est pas pour les putains, par Dieu non ! » Ce vantard, je m’aperçus de dix écus qu’il avait dans sa bourse ; j’aurais pu les lui prendre la nuit et lui laisser des charbons à la place, mais je les eus autrement, comme tu vas le voir. Il était un jour chez moi, tout caillé du tocsin que battait son cœur, parce que j’avais fait mine d’être coiffée d’un autre.