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Page:L'oeuvre du Divin-Aretin - Partie I.djvu/159

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LES RAGIONAMENTI

désespérait surtout à cause du baptême que le petit n’avait pas reçu.

Antonia. — Qui fut le père de ta Pippa ?

Nanna. — Ce fut un marquis au regard de Dieu, au regard du monde, je ne puis pas le dire. Parlons d’autre chose.

Antonia. — Comme tu voudras.

Nanna. — Il me vint envie de gratter de la guitare, non pour le plaisir, mais pour paraître me délecter des choses d’art. Il est sûr que ce sont de bons lacets à prendre les badauds les talents qu’acquièrent les putains ; ils coûtent plus cher aux gens que le fenouil, les olives et les gelées que servent les taverniers. Une putain qui va jusqu’à chanter les canzones et lire la musique à livre ouvert, va-t’en pieds nus.

Antonia. — Rien ne vient que par tromperie en ce monde.

Nanna. — Par-dessus tous les autre, j’avais le talent de tirer parti de n’importe quelle bagatelle, et j’aurais pris dans mon filet jusqu’à une église, comme dit Margutte[1] ; jamais personne ne coucha avec moi qu’il n’y laissât de son poil. Ne crois pas que chemise, ni coiffe de nuit, ni escarpins, ni chapeau, mi épée, ni quoi que ce soit qu’on oubliait à la maison, revît jamais le jour : tout est bon à prendre, tout fait bon profit. Porteurs d’eau, vendeurs de bois, crieurs d’huile, marchands de miroirs, marchands d’oublies, marchands de savons, de lait et de fromages à la crème, de châtaignes chaudes, rôties ou bouillies, jusqu’aux décrotteurs et aux vendeurs d’allumettes, tous étaient mes bons amis, et c’était à qui d’entre eux guetterait me voir avec quantité de galants.

Antonia. — Pourquoi te guettaient-ils ?

Nanna. — Pour que je me misse à la fenêtre pour ceci ou pour cela, que j’achetasse de tout et que je me fisse payer de tout par mes amoureux. Venait qui voulait me courtiser, force lui était de dépenser un jules, un gros, une baïoque. Ma servante survenait et disait : « Les cordons des taies d’oreiller ne sont pas assez longs, il s’en faut des mille et

  1. Dans le Morgante maggiore.