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Page:L'oeuvre du Divin-Aretin - Partie I.djvu/158

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L’ŒUVRE DU DIVIN ARÉTIN

Nanna. — Le marchand dont je t’ai parlé, sans m’en rien dire, me laissait voir son grand désir d’avoir un enfant. Je saisis la bonne occasion et feignis de me trouver bien mal, bien mal ; du matin au soir je me tordais, je me démenais ; je mangeais trois bouchées et j’en recrachais quatre et m’écriant : « Que c’est amer ! » puis je faisais comme si jallais vomir. La bonne pâte d’homme me réconfortait. « Dieu le veuille ! » murmurait-il ; puis il se taisait. Moi qui mangeais comme un laboureur dès qu’il n’était plus là, en sa présence je perdais l’appétit tout à fait, et ne goûtais pas même d’une bouchée. À la fin, après avoir bien simulé étourdissements, coliques, mal de mère, douleurs de reins, geignant de ce que mes époques ne venaient point à leur époque, je lui découvre, par le moyen de ma mère, que je suis enceinte, et le médecin, mon secrétaire, confirme la chose. Le chie-en-culotte, plein d’allégresse, va racoler parrains et marraines, met des chapons sous la mue et s’occupe de trouver langes, maillots et nourrice ; il n’apparaissait pas un oiseau, un fruit de primeur, une fleur nouvelle, qu’il ne rachetât pour moi, de peur que l’enfant n’en portât la marque. Il ne pouvait même plus supporter que je misse la main à la bouche, et il me donnait la becquée des siennes, me soutenait pour me lever, pour m’asseoir ; c’était à rire de le voir pleurer quand il m’entendait dire : « Si je meurs en accouchant, je te recommande mon pauvre petit ! » Je fis un testament par lequel je l’instituais héritier de tous mes biens à mon trépas. Il allait le montrer partout et disait à chacun : « Lisez-moi ceci, lisez-moi cela, et dites-moi si je n’ai pas raison de l’adorer. » Après l’avoir entretenu longtemps dans cette fable, un jour je me laissai tomber par terre sans y prendre garde ; je feignis m’être blessée et lui fis porter, dans un bassin d’eau tiède, un fœtus d’agneau mort-né : tu aurais juré un fœtus humain. Quand il l’aperçut, les larmes lui jaillirent des yeux, il poussa des gémissements, des cris, et les redoubla encore lorsque ma mère s’écria que c’était un garçon, qu’il lui ressemblait ! Il dépensa je ne sais combien d’argent à le faire enterrer. Nous lui fîmes porter des habits de deuil, et il se