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Page:L'oeuvre du Divin-Aretin - Partie I.djvu/168

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L’ŒUVRE DU DIVIN ARÉTIN

en avait qui ne voulaient pas en croire leurs yeux, d’autres qui en restaient stupides, d’autres encore qui riaient et disaient : « Oh ! si elle va jusqu’au bout du mois, je veux être crucifié. » C’était une pitié et un amusement que de voir mes pauvres dolents dans la chapelle, se bousculant à qui me parlerait, et le Sépulcre n’a pas été gardé par les Pharisiens comme je l’étais par eux. Enfin, au bout de quelques jours, je commençai à prêter l’oreille aux supplications qu’ils me faisaient à toute heure pour que je me décidasse à sortir : « On peut sauver son âme n’importe où ! » répétaient-ils. Pour t’achever en deux mots, ils me louèrent et me meublèrent une maison tout à neuf, et, sortie de la cellule, dont ils démolirent le mur comme on démolit la porte du Jubilé, dès que le Pape en a fait tomber la première brique, je devins plus effrontée que jamais ; Rome entière s’en décrochait la mâchoire, et ceux qui avaient prévu l’issue de mon emmurement se disaient l’un à l’autre, tout haut : « Qu’est-ce que je t’avais dit ? »

Antonia. — Je ne sais pas comment il peut être possible qu’une femme imagine tout ce que tu imaginais.

Nanna. — Les putains ne sont pas des femmes, ce sont des putains ; voilà pourquoi elles imaginent et font ce que j’imaginais et ce que je fis. Mais où laissé-je une de nos prudentes qualités, celle des fourmis, qui amassent en été, pour l’hiver ? Antonia, ma chère petite sœur, tu dois savoir qu’une putain a toujours dans le cœur une épine qui la rend soucieuse : c’est la crainte de ces marches d’église et de ces chandelles dont tu me parlais savamment tout à l’heure, et je te confesse que pour une Nanna qui sache se faire des biens au soleil, il y en a mille qui meurent à l’hôpital. Maître Andréa avait coutume de dire que les putains et les courtisans pouvaient se mettre dans la même balance ; en effet, tu en vois plus rester carlins que devenir pièces d’or. Et que leur fait cette épine qu’elles ont dans l’âme encore plus que dans le cœur ? Elle les fait songer à la vieillesse. Alors, elles s’en vont aux hôpitaux, y choisissent la plus jolie bambine qu’elles y trouvnt et l’élèvent comme leur