Aller au contenu

Page:L'oeuvre du Divin-Aretin - Partie I.djvu/176

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
170
L’ŒUVRE DU DIVIN ARÉTIN

Cela ne servait à rien de le manier et remanier, de lui fourrer le doigt dans le sifflet ou sous les sonnettes. Je lui ai joué toutes sortes de tours insensés, à celui-là. Une fois, entre autres, que j’offrais un souper à je ne sais combien de courtisanes, lequel souper se fit tout entier à ses dépens, de trente pièces d’argenterie qu’il m’avait fait prêter pour le service, je lui en volai quatre ; il en fit un tapage épouvantable ; je me jetai dans ses bras en lui disant : « Papa, papa ! ne criez point ; n’allez pas vous occasionner une mauvaise digestion. Prenez mes robes, prenez tout ce que j’ai et payez-les. » Il n’ouvrait plus la bouche, et je lui donnai tant du papa à la figure qu’à la fin il resta comme un père à qui les « Papa ! » de son enfant entrent dans Le cœur ; il paya de sa bourse les plats d’argent, et se contenta de jurer qu’il n’emprunterait plus jamais de sa vie quoi que ce fût, pour personne au monde.

Antonia. — Tu étais des plus fines.

Nanna. — Au commencement d’une liaison, je me faisais si douce que quiconque me parlait pour la première fois allait partout prêchant mon éloge ; puis, quand il m’avait un peu goûtée, l’aloès était de la manne. De même qu’au commencement je montrais une grande aversion pour les actions mauvaises, de même au milieu et à la fin j’en montrais une non moins grande pour les bonnes, par la raison que, comme doit faire une vraie putain, je prenais le plus grand plaisir à semer la discorde, ourdir des brouilles, troubler les amitiés tranquilles, susciter des haines, faire s’injurier les gens et les mettre aux mains. J’avais toujours plein la bouche de Princes, et je décidais du Turc, de l’Empereur, du Roi, de la cherté des vivres, des richesses du Duc de Milan et du Pape à venir. Je prétendais que les Étoiles étaient grosses comme la pomme de pin de Saint-Pierre, pas davantage, et que la Lune était la sœur bâtarde du Soleil. Des Ducs, je sautais aux Duchesses, et j’en parlais comme si j’avais marché dessus ; ces grandes manières qui leur siéent à peine, à elles, je les prenais, car celles de l’impératrice ne sont qu’une niaiserie, et suivais l’exemple de l’une