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Page:L'oeuvre du Divin-Aretin - Partie I.djvu/181

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LES RAGIONAMENTI

moi faire ; je veux que ce soient eux qui payent ou qu’ils en crèvent ! » — « Cela ne se peut pas, répondit-il ; mon père a écrit partout et défendu de me faire crédit ; que ce serait au risque de qui me prêterait quoi que ce soit. » Je lui tournai les épaules et le fis sortir de chez moi. Un jour après, je l’envoie chercher et je lui dis : « Va trouver Salomon ; il te prêtera de l’argent sur simple billet de ta main. » Il y va ; Salomon lui dit : « Mais je ne prête que sur gages ! » Il revient chez moi et me conte l’affaire. « Va chez un tel, lui dis-je alors, il te donnera des bijoux pour telle ou telle somme et le Juif te les achètera volontiers. » Il y va, trouve l’homme aux bijoux, convient avec lui de deux mois, par écrit, porte les bijoux à Salomon, les lui vend, et revient chez moi avec l’argent.

Antonia. — Où veux-tu en venir ?

Nanna. — Les bijoux m’appartenaient, et le Juif, à qui je rendis son argent, me les rapporta. Au bout de huit jours, j’envoie chercher l’homme qui lui avait vendu les bijoux sur billet, et je lui dis : « Fais mettre le jeune homme en prison, comme suspect de vouloir s’enfuir ; tu en jureras. » Le marchand suivit mon conseil, le nigaud fut mis sous clef et ne sortit qu’après avoir payé son écot au double, parce que les vieux hôteliers, pas plus que les nouveaux, n’ont pour habitude de donner à manger gratis.

Antonia. — Moi qui jusqu’ici m’étais tenue pour une madrée, je te confesse de n’être qu’une coïonne.

Nanna. — Venait le temps du Carnaval, qui est le supplice, la mort et la ruine des pauvres chevaux, des pauvres habits et des pauvres amoureux. Je commençais à entreprendre un des miens, qui avait plus de bonne volonté que d’argent, un peu après la Noël, alors que les masques commencent à paraître ; On n’en voit pas encore beaucoup, mais ils font si bien que de jour en jour ils multiplient ; c’est comme les melons : il en vient cinq ou six chaque matin, puis dix, douze, puis une pleine corbeille, puis des tas, puis il y en a à jeter. Je te disais donc que les masques ne floconnaient pas encore lorsque mon tout-en-fumée me dit, me voyant la