Aller au contenu

Page:L'oeuvre du Divin-Aretin - Partie I.djvu/185

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
179
LES RAGIONAMENTI

j’entendais, croyant que c’était le cheval, me mettais à la fenêtre, je vois accourir le valet, tout en sueur, la cape roulée autour du cou ; il me dit : « Signora, dans la minute, dans la minute, il sera ici. » Aussitôt j’aperçois l’homme qui le menait à la main, reniant le ciel, à cause des bonds que l’animal faisait : la rue n’était pas assez large. Lorsqu’il fut à ma porte, je m’avançai à ma fenêtre, preque tout le corps en dehors, pour que les gens qui passaient vissent bien quelle étail celle qui devait le monter. Je jouissais de ce que les gamins s’assemblaient autour du cheval et criaient à tout venant : « La Signora d’ici va sortir en masque ! » Peu de temps après le cheval arriva mon amour : moitié fâché, moitié joyeux, il me dit : « Il faut envoyer les hommes en avant. » J’en avais une dizaine là, à ma réquisition. Je lui donne un baiser et je demande le manteau de velours que le valet devait m’apporter la veille : point de manteau, l’ivrogne avait oublié la commission. Si je n’eusse retenu son maître, le gredin ne me faisait plus de sottises. Suffit qu’il courut le chercher, je m’en revêtis ; tout en m’attachant mes chausses, je remarquai les jarretières des siennes, qui étaient fort belles, et, à l’aide d’une petite parole caressante, je les lui pris, lui laissant les miennes qui ne valaient pas cher. Ma toilette achevée (et j’y mis plus de temps qu’il n’en faudrait pour devenir riche), avec cent folichonneries, cent minauderies, on me mit en selle. Sitôt que j’y fus, le galant tout seul me suivit, monté sur un roussin ; il me prit par la main et il aurait voulu que Rome entière le vît en si haute faveur. Nous acheminant de la sorte, nous arrivâmes où l’on vend des œufs dont la coque est dorée et qui à l’intérieur sont pleins d’eau de rose ; j’appelle un portefaix, je lui fais acheter tout ce qu’avait un des marchands ; mon galant se dévalise d’une chaîne qu’il faisait parader à son cou et la laisse en gage pour les œufs, que je jette à tort et à travers, le temps de dire un Credo, puis je le prends par la main et je le garde comme cela jusqu’à tant que je rencontre une troupe de gens masqués et sans masques à qui je vais tenir compagnie ; je me mêle parmi eux, et je le laisse penaud,