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Page:L'oeuvre du Divin-Aretin - Partie I.djvu/184

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L’ŒUVRE DU DIVIN ARÉTIN

même attention au bon Dieu, et je ne voudrais pas qu’on me le blessât aux épaules ou qu’on me le ramenât fourbu ; je serais ruiné, et bien autrement que vous si je ne vous le prête pas. » Mais mon amant pria et supplia tant qu’à la fin le maître d’écurie lui dit : « Je ne veux pas vous manquer de parole ; envoyez prendre le cheval ; on vous le donnera. » Mon amant transmit l’ordre au garçon qui avait soin du genêt et m’expédia en estafette son valet, qui me raconta leur colloque et se mit à en rire avec moi.

Antonia. — Ce sont de grands scélérats, ces valets, de francs ennemis de leurs maîtres.

Nanna. — Sans nul doute. Mais voici l’heure du dîner. Je dîne avec mon galant et je lui laisse à peine avaler six bouchées. « Fais vite manger ton garçon, lui dis-je, et envoie-le chercher le cheval. » On m’obéit ; le garçon mange, s’en va, et quand je le crois de retour avec le cheval, il revient sans lui. Il s’approche et dit : « Le valet refuse de me le donner ; le maître d’écurie veut vous parler d’abord.» Le pauvre garçon n’avait pas achevé son ambassade qu’il reçut un plat par la figure.

Antonia. — À quel propos son maître lui lançait-il ce plat ?

Nanna. — Il le lui lança parce qu’il aurait voulu que le valet le prît à part, dans un coin, et lui fît son ambassade à l’oreille, de façon que moi, qui ne m’étais pas retournée, je n’eusse rien entendu. Mais je m’étais retournée et je m’écriai : « Voilà qui me va fort bien, voilà qui fort bien me va, d’avoir voulu un autre masque et plus joli que celui dont m’a gratifiée ma putain de mère. Je prévoyais ce qui m’arrive ; tu ne m’y reprendras plus. J’étais folle de te croire et de me laisser mettre dedans comme cela. Ce qui m’ennuie plus que de n’avoir pas le cheval, c’est qu’on dira que j’ai été bernée. » Il voulait me dire : « Ne craignez rien ; nous aurons le cheval. » Mais avec un « Laissez-moi tranquille ! » je lui tournai le dos. Il prit son manteau, s’en fut à l’écurie, et faisant de grands saluts à tous les valets demanda où était le maître : il le conjura si instamment qu’enfin il obtint la bienheureuse monture. Moi, qui au moindre bruit que