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LES RAGIONAMENTI

la glace des miroirs, et ternis par le vin, comme le diamant par l’haleine, ils se seraient fermés, de telle façon que toute la bande tombant endormie sur les victuailles aurait changé la table en lit, s’il n’était survenu un joli petit garçon. Il avait en main une corbeille couverte du linge le plus blanc et le plus fin qu’il me semble avoir jamais vu. Que dire de la neige, du givre, du lait ? Ce lin surmontait en blancheur la lune en son quinzième jour.

Antonia. — Que fit-il du panier et qu’y avait-il dedans ?

Nanna. — Un peu doucement ; le petit garçon, avec une révérence à l’espagnole napolitanisée, dit : « Grand bien fasse à Vos Seigneuries ! » et il ajouta « Un serviteur de cette belle brigade vous envoie des fruits du Paradis terrestre. » Et ayant découvert le don, il le posa sur la table et voici un éclat de rire qui parut un coup de tonnerre ; qui plus est, la compagnie éclata de rire de la façon dont éclate en sanglots la pauvre petite famille qui a vu le père fermer les yeux pour toujours.

Antonia. — Excellentes et nouvelles comparaisons !

Nanna. — À peine eut-on regardé les fruits paradisiaques que les mains, qui déjà commençaient à résonner avec les cuisses, avec les tétons, avec les joues, avec les mollets, et les cornemuses de chacun, avec cette dextérité grâce à laquelle celles des filous se jouent des poches des badauds qui se laissent voler leurs bourses, se précipitèrent sur lesdits fruits, comme la foule se jette sur les cierges que l’on jette de la Loggia le jour de la Chandeleur.

Antonia. — Quels fruits étaient-ce ? Dis-le !

Nanna. — C’étaient de ces fruits de verre que l’on fait à Murano de Venise à la semblance du K[1], sauf qu’ils ont deux sonnettes dont s’honorerait tout tambour de basque.

Antonia. — Ah ! ah ! ah ! Je te tiens par le bec ! Je te tiens comme un poisson pris à l’hameçon.

Nanna. — Et qu’elle était béate, non seulement ravie, celle

  1. Ce jeu de mots alphabétique s’entend aussi bien en français qu’en italien.