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Page:L'oeuvre du Divin-Aretin - Partie I.djvu/47

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LES RAGIONAMENTI

venceaux, le Général, celle sur laquelle il était monté, celui qu’il avait derrière lui et celle à la pastenague[1] de Murano, s’accordèrent à le faire en mesure comme s’accordent les musiciens, ou les forgerons en levant le marteau, et ainsi chacun attentif au signal, on entendait un : « Aïe ! Aïe ! » un : « Embrasse-moi ! » un : « Tourne-toi vers moi ; ta langue douce, donne-la-moi ! Retire-la ; pousse fort. Attends que je le fasse ! Je t’en prie, fais-le ! Serre-moi ! Aide-moi ! » L’un parlait en sourdine, l’autre à voix haute, en miaulant ; on aurait dit ceux du la, sol, fa, mi, ré, ut, et c’étaient des yeux renversés, des soupirs, un branle, des secousses telles que les bancs, les caisses, les bois de lits, les chaises et les écuelles s’en ressentaient comme les maisons pendant un tremblement de terre.

Antonia. — Au feu !

Nanna. — Puis voici huit soupirs coup sur coup, issus du foie, du poumon, du cœur et de l’âme du Révérend, et cœtera, des Sœurs et des Novices qui firent un si grand vent que huit torches en auraient été éteintes, et soupirant ils tombèrent de fatigue, comme les ivrognes de vin. Et moi qui avais quasiment les nerfs cordés du dépit de les contempler, je me retirai adroitement et m’étant assise je donnai un regard au machin de verre.

Antonia. — Arrête un peu : comment sais-tu qu’il y eut huit soupirs ?

Nanna. — Tu es trop pointilleuse : écoute donc.

Antonia. — Dis !

Nanna. — En contemplant le machin de verre, je sentis

  1. Poisson, sorte de raie (trygon pastinaca) ; on le nomme terre à Lorient, terre, tonare ou touare dans le Poitou, tère à Arcachon, pastenague à Cette, pastenaïga à Nice. L’Arétin a souvent pris des poissons pour les termes de ses comparaisons.

    Une locution proverbiale de l’époque, esser comme il pastinaca, être comme la pastenague, signifiait : être sans queue ni tête, car enveloppée par les nageoires pectorales, la tête de ce poisson ne se distingue pas bien, et on lui coupait la queue dont on disait la piqûre dangereuse.