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Page:L'oeuvre du Divin-Aretin - Partie I.djvu/63

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LES RAGIONAMENTI

été accueilli par elle ; son esclavine[1] était pliée sur une caisse, et le bourdon, sur lequel était un petit tableau avec le miracle, appuyé au mur ; la poche, pleine de rogatons, servait de joujou à une chatte, dont les joyeux amants trop occupés ne s’occupaient point, pas plus que de la gourde qui, renversée sens dessus dessous, laissait tout le vin s’écouler. Nous ne daignâmes point perdre notre temps devant d’aussi grossières amours ; mais nous nous arrêtâmes, arrivés devant les fissures de la chambre de Madame la Cellerière, qui, ayant perdu l’espérance de voir arriver son curé, s’était livrée à une telle fureur qu’elle avait attaché une corde à une solive, était montée sur un escabeau et le nœud coulant passé autour du cou, elle allait renverser du pied son point d’appui et ouvrait déjà la bouche pour dire au curé : « Je te pardonne », quand celui-ci arrivé à l’huis et l’ayant poussé brusquement entra dedans et vit sa vie au terme dit. Il s’élance sur elle, la prend dans ses bras et dit : « Qu’est-ce que tout cela signifie ? Suis-je donc tenu de vous, mon cœur, pour un traître à la foi jurée ? Et où est donc la divinité de votre prudence ? Où est-elle ? » À ces douces paroles elle releva la tête, comme se relèvent ceux qui sont évanouis et à qui l’on jette de l’eau froide au visage, et revint à elle absolument comme les membres engourdis par le froid reviennent à la chaleur du feu. Et le curé ayant jeté la corde et l’escabeau la déposa sur le lit et elle lui dit après un long baiser : « Mes oraisons ont été exaucées, et je veux que vous me fassiez mettre en cire devant l’image de Saint Giminiano, avec cette inscription : elle se recommanda et fut délivrée. » Et cela dit, elle accrocha aux dents de ses fourches le charitable curé qui, rassasié à la première bouchée de chèvre, demanda du chevreau.

Antonia. — Je voulais te le dire et ne m’en suis plus sou-

  1. Schiavina, manteau de pèlerin : « Le prince Perse commande à un sien serviteur de leur faire tailler deux esclavines, et de recouver deux bourdons, tels que les pèlerins ont en coutume d’en porter. » (Hist. de Flor et de Blancheflor)