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Page:L'oeuvre du Divin-Aretin - Partie I.djvu/75

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LES RAGIONAMENTI

Antonia. — Je parle comme cela pour te faire plaisir. C’est pour cela que j’use d’obscurité.

Nanna. — Je te remercie. Maintenant, continuons l’antienne. Après les petits jeux auxquels nous avions joué ensemble, il nous prit envie de nous faire voir au parloir et au tour. Mais nous ne pûmes approcher : toutes les Sœurs y étaient accourues comme les lézards courent au soleil, et l’église ressemblait à Saints-Pierre-et-Paul, le jour de la Station ; moines, soldats, tout le monde entrait, et tu me croiras si tu veux, j’aperçus Jacob l’Hébreu, qui s’entretenait bien tranquillement avec l’Abbesse.

Antonia. — Le monde est corrompu !

Nanna. — J’en dis autant ; en sorte qui veut. J’y vis aussi un de ces malheureux Turcs[1], qui s’était laissé prendre dans le filet en Hongrie.

Antonia. — On avait dû le faire chrétien.

Nanna. — Suffit que je l’aie vu, je ne saurais te dire si c’est avec ou sans le baptême. Mais je n’ai été qu’une bête en te promettant de te raconter, en un jour, la vie des Sœurs, parce qu’en une heure elles font des choses que l’on ne raconterait pas pendant une année. Le soleil se dispose à se coucher, je vais donc abréger, faisant compte d’être un homme pressé de remonter à cheval, qui, bien qu’il ait grand’faim, avale à peine quatre bouchées, boit un coup, et, vite ! en route.

Antonia. — Laisse-moi parler un peu. Tu m’as dit d’abord que le monde n’est plus ce qu’il était de ton temps ; je pensais que tu avais à me raconter, des Sœurs d’alors, des choses écrites dans le livre des Saints Pères.

Nanna. — Je me suis trompée si je t’ai dit cela. J’ai peut-être voulu dire qu’elles ne sont plus comme elles étaient dans l’ancien temps.

  1. Jean de Zapol, comte de Scépuse et voïvode de Transylvanie, élu au trône de Hongrie, vacant à la mort, en 1526, du roi Louis ii, dernier des Jallegons, avait appelé les Turcs à son secours contre Ferdinand d’Autriche qui, se fondant sur les droits de sa femme, sœur unique du roi défunt, voulait s’emparer de la couronne.