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Page:Léo - Jean le sot.djvu/26

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bien assez de peine à porter ces quarante livres de laine pendant trois lieues, je ne pourrais supporter le faix de quarante livres de plomb.

Le marchand, par cette réponse, vit à quelle bête il avait affaire, et comme ce tait un homme rapace et de mauvaise foi, il conçut l’intention de tromper ce pauvre innocent.

— Bah ! dit-il, vous trouveriez bien quelque charrette ou mettre ce plomb, et l’affaire en vaudrait la peine. Pour moi j’y perdrai, cela est clair : mais je veux quitter le commerce, et autant vaut que ce soit vous qui en profitiez.

La boutique de cet homme était une sorte de bric-à-brac, où l’on voyait ensemble toutes sortes d’objets : vieux fers, vieux ustensiles, vieux habits, et jusqu’à des lames de plomb, arrachées de dessus les toits.

— Ce serait, en effet, un marché superbe, se dit Jean le Sot. Tout le monde sait que le plomb est bien plus lourd que la laine. Mais une chose m’arrête, c’est que ma femme m’a si fortement recommandé de lui rapporter de l’argent…

Cependant, il refusa, un bon prix qu’on lui offrit de sa laine, et continua de regarder le marchand de ferraille du coin de l’œil.

Le rusé voleur vit bien qu’il ne s’agissait que de rendre la tentation plus forte, et sortant de sa friperie un bonnet à paillettes et à galons d’or, qui avait appartenu à quelque jockey, il offrit à Jean de le lui donner par dessus le marché. Notre fou, transporté de joie, tapa dans la main du marchand, et livra ses quarante livres de laine fine et blanche contre quarante livres de plomb vilain et grossier. Quand celles-ci eurent été pesées, seulement, il fut bien surpris de voir que cela faisait si peu de volume, et commença de soupçonner quelque fraude.

Cependant, s’étant assuré du poids, il mit le plomb sur son dos et tout pensif l’emporta. Ayant craint d’en être écrasé, il ne pouvait revenir de sa surprise de n’être point plus chargé qu’auparavant. Il avait mis le bonnet doré sur sa tête, et se croyait là-dessous aussi beau qu’un roi ; aussi, ne pouvait-il s’étonner assez qu’on ne le respectât point,