Page:Léo - Jean le sot.djvu/27

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et d’entendre les enfants de la ville courir après lui et le suivre en criant. Le fou ! le fou !

— Fou ! répétait-il, fou : je ne sais qui l’est ici ; mais les choses de ce monde me paraissent aller de travers, et tout as rebours du sens commun. Si cela continue, je finirai par croire à quelque tour de sorcellerie ; j’ai cependant fait pour le mieux.

Il fallut voir la scène que lui fit sa femme, en ne recevant, au lieu des quatre-vingts beaux francs sur lesquels elle comptait si bien, que quelques morceaux de vieux plomb. Elle se mit à crier qu’elle avait pris un tel homme seulement pour son chagrin, sa honte et sa ruine, et Jean fut bien triste de voir qu’on ne l’aimait point, et que ses bonnes intentions n’étaient rien pour elle. Il se mit à pleurer, et promit pour l’apaiser d’être plus habile une autre fois. — Comme il ne s’agissait que d’acheter une aiguille à matelas, elle le laissa retourner à la ville la semaine suivante.

Jean y arrivait à peine qu’il se fit sur la place un grand mouvement : les gens de toutes parts se rassemblaient autour du crieur, et voici de quoi il était question : Un prince voisin, — on ne sait au juste la date de ce fait, — offrait à ce peuple de se dévouer à son bonheur par obligeance pure, et poussé par le seul désir de satisfaire ces instincts de dévouement et d’abnégation, qui — les discours officiels en font foi — habitent naturellement le cœur des princes.

Celui-ci ne demandait à ces gens qu’un simple serment d’allégeance et le droit d’entretenir, pour leur sûreté, quelques cohortes sur le territoire, moyennant quoi il promettait de leur consacrer su vie et de leur donner une prospérité comme on n’en avait point encire vu. Jean fut touché jusqu’au fond de l’âme d’une si grande générosité ; mais, comme il admirait les sentiments de ce prince et applaudissait à son offre, un homme se leva d’entre la foule, et dit :

— Pour qui nous prend-on de venir nous conter de pareilles sornettes ! Sommes-nous des enfants ! Nous sommes-nous trouvés si mal d’être libres jusqu’ici ? Qui donc ferait mieux nos affaires que nous-mêmes ! Et pourquoi cet homme prendrait-il nos