Aller au contenu

Page:Léo - Un divorce, 1866.pdf/215

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
203
UN DIVORCE

que, si je réussis, moi, dans tout ce que j’entreprends, c’est en me croisant les bras ? Mais je vis dans le feu, mon cher ; mais c’est un enfantement continuel, une activité dévorante ! Ah ! l’on a des soucis !…

— Vraiment, dit Étienne, effrayé déjà.

— Eh bien, ce n’est pas déplaisant, je vous assure. On a de la peine, mais on crée, mais on est orgueilleux de soi… Vous comprenez : découvrir les bonnes affaires… le coup d’œil, le flair, un véritable génie, parbleu ! (Il était ému.) Enfin on fait quelque chose, on se mêle à tout, on tripote dans tout. On connaît les hommes, on se fait connaître. — Et puis, mon cher, et puis (continua-t-il d’un ton de confidence), il ne faut pas se le dissimuler, si l’on vient à mettre la main sur une véritable affaire, une vraie s’entend, ma foi ! alors, votre fortune est faite, et vous n’avez plus là qu’à jouir de la vie, sans fatigue, au milieu des plaisirs. Table succulente, vins fins, femmes charmantes, tout est à vous.

— Mais c’est assez rare, observa ironiquement le jeune Sargeaz.

— D’accord, mais ça peut arriver. Et quand même ça n’arrive pas, voyez-vous, on gagne toujours à faire des affaires. À force de toucher de l’argent, il en reste toujours quelque chose. Voyez un peu : Qui est-ce qui se contente de son revenu chez nous ? Personne. À côté de la fonction officielle, qui est le pain assuré de la famille, tout le monde brocante quelque petite affaire. Nos traitements sont dérisoires. Que pouvez-vous faire, vous, avec vos mille francs ? Rien que des dettes, cela va sans dire. Nous sommes de notre temps ; nous voulons vivre, et bien vivre. Aussi faut-il faire un peu de commerce ou d’agiotage ; il n’y a pas d’autre moyen.

Il parla longtemps sur ce sujet, analysant sans ver-