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UN DIVORCE

Tout cela depuis quelque temps n’existait plus ; mais cela témoignait d’une âme de père et devait exister encore. Pouvait-il vraiment ne plus aimer Claire, sa femme, la jeune fille qu’il avait choisie, la mère de ses enfants, celle qui n’avait jamais eu d’autre tort envers lui que de vouloir être aimée comme elle aimait elle-même ?

En ce moment, elle ne pensait plus à Camille, et il lui semblait qu’elle n’avait jamais aimé que Ferdinand, tant la force de ce faisceau au milieu duquel elle était attachée la dominait.

Alors il s’éleva du fond du cœur de cette pauvre femme un tel élan de foi et d’amour pour les biens perdus, qu’elle ne douta point de pouvoir les reconquérir par leur force même. Elle rattacha sa robe entr’ouverte sur le sein épuisé, où sa petite fille, inquiète et grondeuse, n’avait pas trouvé ce soir-là sa nourriture habituelle, et, quoiqu’il fût dix heures, elle s’apprêta pour sortir.

— Est-ce que madame ne veut pas souper un peu avant de se coucher ? dit Louise en entrant. Madame est si fatiguée ! Vous n’aurez pas de lait pour la petite, si vous ne mangez pas.

— Est-ce que je n’ai pas soupé, Louise ?

— Seigneur ! pauvre dame ! vous n’avez touché à rien. Tant de chagrin que vous avez ! ça se voit. Monsieur qui avait l’air autrefois si bon pour madame ! Eh ! les hommes ! il ne faut pas compter sur eux.

— Qui vous a dit cela, Louise ? Monsieur ne m’a point fait de chagrin.

— Eh ! madame, tout le monde le sait, allez ! Il y a plus de vingt personnes qui m’en ont parlé. Elle quitte son café de Saint-Laurent, et va en tenir un plus beau dans la rue du Bourg ; personne ne croit que c’est elle qui paye, allez, puisqu’on sait bien que Fonjallaz a laissé