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UN DIVORCE

riait de leurs volontés naïves ou de leurs caprices, avec l’indulgence facile d’un petit être supérieur.

L’heure du souper venait de réunir tout le monde au salon, lorsque la fidèle Jenny vint prévenir Anna qu’une femme la demandait :

— C’en est une coiffée en tresses, avec un fichu sous le menton, ajouta la servante, et elle m’a tout l’air d’une heimathlose, avec ses deux enfants et ses habits déchirés.

— C’est moi, Jenny, qu’elle a demandée ?

— Oui, mademoiselle, et elle dit qu’elle ne veut parler à personne qu’à vous.

Anna se rendit à cette demande et vit au seuil de la maison une femme assise sur les marches, qui allaitait un petit enfant. Près d’elle se tenait debout, immobile et regardant de ses grands yeux tout autour de lui, un autre enfant de sept à huit ans, vêtu de guenilles ainsi que sa mère et frais comme une fleur des champs.

Sans trop savoir pourquoi, la jeune fille se sentait émue ; elle jeta un cri, quand, la femme relevant la tête, elle reconnut Maëdeli.

L’inculte créature, pendant quelques instants, regarda mademoiselle Grandvaux sans lui parler. Maëdeli avait pâli ; ses traits s’étaient allongés ; la misère l’avait flétrie ; tandis que ces trois ans de calme extérieur et de vie contemplative, au sein de l’aisance, avaient au contraire développé la beauté d’Anna.

— C’est vous, dit l’heimathlose de sa voix douce et lente, c’est vous, la seule des parents d’Étienne qui avez été bonne pour moi ; c’est vous qui m’aviez envoyé la vieille Catherine et qui m’avez secourue par elle, quand ils ont mis Étienne en prison. Catherine me disait que vous étiez un ange du ciel, et je me suis toujours souvenue de vous. C’est bien vous Anna Grandvaux ?