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UN DIVORCE

mais toi, ma petite cousine, toi aussi ! Tu vas me rendre triste pour tout de bon. J’aime beaucoup mon père, poursuivit-il avec émotion ; mais songe que je ne l’ai point vu depuis l’âge de dix ans.

Anna prit la main de son cousin et la serra très-fort dans les siennes.

— Votre père est-toujours en Russie, mademoiselle ? demanda M. Desfayes.

— Oui, monsieur.

— Dans quel gouvernement ?

— De Twer.

— Il doit avoir là une place lucrative ?

— Il aime beaucoup ses élèves, monsieur, répondit mademoiselle Sargeaz, de ce ton sec et incisif qui pour le sens vaut une bourrade.

— Il est chez un propriétaire de vingt mille paysans, dit M. Grandvaux.

— Ciel ! quelle horreur ! s’écria mademoiselle Charlet. Et ces gens-là se disent chrétiens !

— Le christianisme n’interdit l’esclavage nulle part, observa M. Grandvaux. Il n’empêche pas les gens de penser à leur manière ; chaque pays a sa coutume. Là-bas, voyez-vous, ça paraît tout simple. Eh ! mon Père ! ça n’y va peut-être pas plus mal qu’ici, et les gens assurément s’y chamaillent beaucoup moins.

Sur cela, M. Grandvaux et M. Desfayes se mirent à parler des élections communales, puis de l’établissement des chemins de fer, qui mettait alors la Suisse en émoi. On soutenait généralement qu’ils étaient impraticables dans ce pays de montagnes ; mais on se disputait le tracé de canton à canton et de district à district, avec un acharnement qui faillit en venir aux coups.

Heureusement M. Grandvaux et ses hôtes se trouvaient