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UN DIVORCE

être du même avis ; aussi le dîner ne fut-il troublé que par une nouvelle dispute de mademoiselle Charlet et de Mathilde. Pour y mettre fin, la bonne madame Grandvaux se hâta de quitter la table, et les dames passèrent au jardin.

Le soleil venait de disparaître ; mais de grands nuages d’un rouge ardent éclairaient encore l’horizon, et les fronts superbes des plus hautes montagnes resplendissaient. Une brise montant du lac rafraîchissait l’atmosphère, et cette grande chose invisible, mais pénétrante, se répandait, le beau calme des soirs, moins profond et plus doux que celui des nuits. Les voix montaient dans l’air, harmonieuses, et l’aigreur même qui accentuait celle de la tante Charlet se plaignant de sa nièce, semblait n’être qu’une note destinée à relever la douceur de l’intonation d’Anna excusant Mathilde. Celle-ci, reprenant la Critique de la raison pure, s’était éloignée en lisant. Anna, bientôt, s’esquiva pour aller donner les soins habituels à ses élèves de la ferme ; Claire, feignant d’écouter sa mère et sa tante, marchait près d’elles en songeant.

— Claire est toute rêveuse, observa mademoiselle Charlet ; elle a raison. Le mariage est une grande épreuve !

— C’est un état de dévouement du commencement à la fin, répondit madame Grandvaux, en contemplant sa fille avec une tendresse maternelle, empreinte d’une sorte de compassion douloureuse.

— C’est une loterie ! reprit la tante ; mais il ne paraît pas que Claire ait tiré un mauvais lot. Comment le trouves-tu ? lui demanda-t-elle.

— Il paraît très-bon, dit la jeune fille en rougissant.

— Oui, et puis un bel homme ! on ne peut pas dire le