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UN DIVORCE

Car un seul point, toujours le même, absorbait toute sa pensée : que faisait Ferdinand ? pourquoi ne revenait-il pas auprès d’elle à la même heure qu’autrefois ? Il alléguait toujours les affaires, et ce mot était devenu pour elle comme un sphinx, un monstre, dont elle s’efforçait vainement de saisir les formes fuyantes et fantastiques. Dans son attente, cependant, elle les réduisait volontiers aux formes les plus exiguës, et si Ferdinand lui avait dit en sortant qu’il allait faire une transaction, un traité avec quelqu’un, elle le conduisait de la pensée, le faisait entrer en matière, puis conclure ; la plume courait sur le papier, on signait, tout était dit ; il n’avait plus qu’à revenir alors, et elle l’attendait, prêtant l’oreille aux bruits de la rue et se demandant avec anxiété : Que peut-il faire à présent ?

Elle accusait alors les hommes d’exceller à perdre le temps, et de donner leurs affaires pour prétexte à cent flâneries. Y a-t-il donc tant d’affaires au monde ? — Au fond, elle n’en connaissait qu’une, l’amour, et soupçonnait toutes les autres de n’être qu’objets de convention, dont un homme amoureux devrait savoir se débarrasser au plus vite.

Les occupations de son mari lui étant à peu près inconnues, tout le détail lui en échappait ; le détail qui, dans notre pauvre vie, dépasse l’essentiel si largement. Elle aigrissait bien un peu son mal par l’ignorance ; mais enfin ces mêmes heures qu’il lui donnait autrefois, pourquoi ne les lui donnait-il plus ? Pourquoi ne rentrait-il maintenant qu’à sept heures, quand dès quatre heures autrefois elle le voyait revenir, empressé, joyeux ? Elle savait bien qu’alors ce n’était pas la promenade, le grand air et le paysage qui le charmaient, puisqu’il ne voyait, ne sentait, ne regardait qu’elle. Et s’il alléguait un sur-