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LA VIE DE JÉSUS

se remuait tellement chez moi, qu’il a fini par retourner mon parapluie du haut en bas. Vous voyez facilement ce qu’il en advint. Chaque fois que je me mettais à table pour prendre la substance indispensable à mon alimentation, le ver solitaire commençait par se gaver comme quatre ou cinq Lucullus ; j’étais obligé d’ingurgiter la pitance de douze personnes, et les aliments dont mon ver solitaire ne voulait pas s’amassaient dans la soie de mon parapluie, lequel s’ouvrait tous les jours de plus en plus et me causait des tourments infernaux.

C’est ainsi que je me suis rendu à la piscine de Béthesda.

À sept reprises, j’ai manqué d’être le premier à sauter à l’eau. À la huitième, j’ai réussi. À peine l’ange venait-il d’agiter la surface de l’onde, que j’étais dans le bassin.

Ô prodige ! l’œil d’un garçon de l’établissement est venu se mettre à la place de celui dont j’avais été jusque-là privé, et c’est l’infortuné garçon qui est devenu borgne. J’ai eu mes deux jambes comme tout le monde ; mon mal de dent a été subitement guéri ; mes marques de petite vérole sont restées dans la piscine et ont donné ce jour-là à son eau l’aspect d’un bouillon appétissant, tant il était parsemé d’yeux ; la main qui me manquait a repoussé, munie d’un gant beurre-frais à six boutons. J’étais ravi.

Et notez que je n’étais pas au bout de mes joies.

Mon ver solitaire avait avalé mon parapluie et avait vidé les lieux que tous deux occupèrent si longtemps à mon grand désespoir. Bien plus, le ténia en question a été gobé par les autres malades de la piscine, et, comme l’objet dont il avait le corps plein le durcissait d’une manière étonnante, il s’en est suivi que les pauvres malades ont été de l’un à l’autre réunis par ce brigand de ver solitaire. Quand on les a tirés de la piscine, ils formaient une longue enfilade, semblable aux collections de saucisses qui pendent aux devantures des charcutiers. Pour les séparer, on a été obligé de couper mon ver solitaire en plusieurs morceaux et de trancher dans le vif.

Quant à ma bosse et à ma légitime qui se teignait les cheveux, j’en ai été également débarrassé. À l’instant précis où je me plongeais dans la piscine, mon épouse se faisait enlever du domicile conjugal par le curé en chef de notre synagogue, et, fait véritablement cocasse, tandis que mon échine se redressait, ma bosse passait — devinez où — sur le ventre de ma femme. C’est renversant ! c’est merveilleux !

Aussi, du matin au soir, maintenant, j’adresse au ciel des actions de grâces, et je le remercie d’avoir placé dans Jérusalem une piscine comme celle de Béthesda.

Il va sans dire que mon témoignage et la présente relation de ma cure inespérée sont à la disposition des directeurs de cet admirable établissement.

Mathathias Zorobabel
Greffeur de courges,
À Gethsémani, dans la vallée de Cédron.