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LA VIE DE JÉSUS

Se trouvant à la merci d’Hérode, il continua, comme par le passé, à lui adresser des remontrances à propos de son mariage, chaque fois qu’il en avait l’occasion. Naturellement, ces observations étaient désagréables à Sa Majesté, et, par-dessus le marché, Baptiste se créait gratuitement une ennemie mortelle dans Hérodiade, qui était ainsi mise en cause.

Il ne faut jamais fourrer son nez dans les affaires de femmes, dit un proverbe très sensé. C’est en effet là une des questions qui amènent le plus souvent la brouille entre les meilleurs amis. Votre camarade le plus cher se toque d’une beauté qui, à vos yeux, est une laideur, et qui vous déplaît souverainement ; laissez-les donc filer ensemble le parfait amour, et ne mettez pas votre doigt entre l’arbre et l’écorce ! Si, au contraire, vous venez donner votre avis au camarade, qui ne vous le demande pas, il vous prendra à tic, et, le jour où, dégoûté de sa Dulcinée, il l’enverra au diable, le camarade ne se réconciliera pas avec vous pour ça. Voyez-vous, cela est réglé comme du papier à musique.

Baptiste appartenait à l’espèce agaçante de ces gens grognons qui se donnent la mission stupide de censurer les ménages.

Hérode ne pouvait pas lui demander un conseil sur un acte politique, sans qu’après avoir répondu il ajoutât :

— Oui, Majesté, faites ceci, faites cela ; c’est mon avis : mais ce n’est pas tout que de s’occuper de la politique. Il faut aussi songer à son intérieur, et la vérité m’oblige à vous dire que le premier de vos devoirs serait de flanquer votre femme Hérodiade à la porte et de reprendre votre ancienne.

Hérode fronçait les sourcils et sortait sans rien dire.

Le soir, en causant sur l’oreiller avec Hérodiade, si celle-ci avait le malheur de lui demander :

— Eh bien, et Baptiste ?

Il lui répondait :

— Ne m’en parle pas ; ce n’est pas un mauvais homme au fond, mais il a une fichue manie…

— Il t’a encore chanté son antienne à propos de notre mariage ?

— Justement.

— Le sale animal ! concluait Hérodiade en grinçant des dents.

Hérodiade était nerveuse. Le fait se reproduisant sans cesse, elle en arriva à ne plus pouvoir penser à Baptiste sans avoir une attaque de nerfs. Le cousin de Jésus l’horripilait.

Au début, elle se contentait de l’appeler plaisamment « Monsieur De-quoi-je-me-mêle » ; puis, elle avait dit pour le désigner : « Le Grincheux ». — Que fait le Grincheux ? N’a-t-il pas défuncté, le Grincheux ? — Enfin, elle en était au « sale animal. »

« Sale animal » est le dernier degré de la colère d’une reine. Après « sale animal », il n’y a plus que la potence.