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LA VIE DE JÉSUS

Abraham a désiré avec ardeur me voir venir au monde ; il m’a vu, et il s’en est réjoui.

— Oh ! là là ! quel toqué ! Il n’est pas possible d’avoir reçu un pareil coup de marteau sur le timbre ! clama la foule. Il a tout au plus trente ans, et il prétend avoir connu Abraham ! À la douche, le cerveau fêlé ! à la douche !

Lui, sans s’émouvoir, répliqua :

— En vérité, en vérité, je vous le dis, avant qu’Abraham eût été engendré, j’existais, moi qui vous parle !

C’était de la divagation pure. Voyant que Jésus se moquait décidément d’eux et les prenait pour des imbéciles, les Juifs laissèrent déborder leur colère ; ils se précipitèrent sur les pierres amoncelées pour la construction du Temple (à cette époque le Temple n’était pas encore complètement terminé), et voulurent lapider le Nazaréen. Mais Jésus, qui tenait absolument à ne se laisser occire que le jour où son heure serait venue, profita du tumulte et de la confusion de la foule et s’esquiva à toutes jambes.

Les disciples, qui n’avaient pas osé le défendre, coururent après lui et le rattrapèrent dans une rue, au moment où il s’occupait à interroger un aveugle qui mendiait.

Cet infirme était assis sur une borne ; il portait à son cou un écriteau qui devait sans doute être conçu ainsi : « Âmes charitables, ayez pitié d’un malheureux qui est aveugle de naissance, par permission de l’autorité. »

— Le cas est intéressant, disait Jésus, cet homme n’est pas un de ces faux aveugles comme on en voit tant ; c’est un aveugle sérieux. Il vient de me raconter ses chagrins ; les Israélites n’ont pas l’âme tendre en général, ils ne compatissent pas comme il faudrait à sa misère. Les enfants lui jouent le tour de lui mettre dans sa sébile des boutons de culotte aplatis, et, quand il se présente chez le boulanger ou chez le marchand de vins, on lui refuse cette monnaie… Ah ! cet infortuné est bien à plaindre !… Dire que je suis la lumière du monde, et qu’il ne me voit pas !…

— Dame ! il ne tient qu’à vous, patron, de lui rendre la vue, fit un disciple.

— Je vais vous dire… C’est que cet homme est aveugle de naissance ; s’il avait été aveugle par accident, ce serait beaucoup moins compliqué.

L’aveugle, entendant ce discours, comprit qu’il avait devant lui quelque grand médecin de la Judée. Il supplia donc le docteur inconnu de le guérir.

Jésus cracha à terre dans la poussière ; après quoi, il se baissa, pétrit la poussière avec sa salive de manière à faire une petite boulette de boue ; puis, il étendit cette boulette saliveuse sur les yeux de l’aveugle, et, quand il l’eut ainsi bien emplâtré de sa boue malpropre :

— Allez, lui dit-il, et lavez-vous dans la piscine de Siloé.