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Page:Léo Taxil - La Vie de Jésus.djvu/233

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LA VIE DE JÉSUS

L’établissement était à deux pas. L’infirme y courut en toute hâte et se baigna, lui et son chien. — Fut-il guéri, le bon aveugle de naissance ? — Parbleu !

Les gens du voisinage en étaient comme des tourtes.

Ceux qui l’avaient vu, le matin même, demander l’aumône, hésitaient à le reconnaître.

— N’est-ce pas celui qui était assis là et qui mendiait ? Les uns répondaient :

— Oui, c’est lui.

Les autres :

— Non, c’en est un qui lui ressemble, voilà tout.

— En ce cas, il lui ressemble étrangement.

— C’est sans doute son frère jumeau ; il y a des ressemblances étonnantes entre les frères jumeaux.

— Possible, mais elles ne vont pas jusqu’au chien ; ou alors ces deux frères jumeaux avaient deux chiens également jumeaux, ce qui serait bien extraordinaire.

— Le mieux est de l’interroger.

On se rassembla autour de l’ex-aveugle.

— Pardon, brave homme, êtes-vous vous ? ou bien êtes-vous votre frère ?

L’ex-aveugle répondit (c’est textuel dans l’Évangile) :

— Je suis moi-même.

— Bah !… Comment diable alors vos yeux se sont-ils ouverts ? Seriez-vous un de ces aveugles postiches comme il y en a à tous les coins, et vous seriez-vous moqué de nous jusqu’à présent ?

— Je ne suis pas un aveugle postiche. Depuis mon enfance, je ne voyais pas. Vous le savez bien, sapristi ! Vous m’avez assez fait de mauvaises farces… Demandez un peu aux gamins du quartier qui m’appelaient le père Tape-à-l’œil et qui me tendaient des ficelles dans la rue… Est-ce que vous croyez que c’est pour mon plaisir que je me fichais par terre ?… J’étais, je vous le jure, un aveugle très sérieux… Seulement, voici : cet homme qu’on appelle Jésus a fait de la boue, je ne sais avec quoi, par exemple ; c’était de la boue légèrement gluante ; il m’en a frotté les yeux, et il m’a envoyé me laver à la piscine de Siloé ; j’ai suivi son conseil et je m’en suis bien trouvé, ainsi que vous pouvez le constater.

— Et où est-il, votre guérisseur ?

— Pour ça, je n’en sais rien.

« Or, c’était un jour de sabbat que Jésus avait fait cette boue et ouvert les yeux de l’aveugle. » Il avait donc violé les prescriptions des rabbis qui défendaient d’appliquer les remèdes au jour sacré, même de frotter de salive un œil malade (Maimonides, Sabbath, 21, Lightfoot, Horæ hebraïcæ, in Joan., IX) ; et c’était à l’heure même où les pharisiens avaient essayé de le lapider que le fils du pigeon avait osé enfreindre publiquement leurs règles ! Il était impossible de se moquer avec plus d’audace de la loi de Moïse.