Les témoins du prodige coururent annoncer aux sanhédrites ce qui se passait.
Le grand conseil ne tenait pas de séance régulière aux jours de sabbat ; mais, en l’honneur des fêtes des Tabernacles, ses membres se tenaient dans les parvis du Temple, désireux de vérifier par eux-mêmes si les dons des fidèles étaient nombreux.
Ils ordonnèrent que l’aveugle guéri leur fût amené. Celui-ci était assez ennuyé de ce qu’on cherchait garouille à Jésus de lui avoir rendu service ; il se rendit donc auprès des princes des prêtres en disant :
— Eh bien, en voilà des affaires pour une paire d’yeux qui ne voyaient pas et qui voient à présent !… Avec ça que j’allais m’amuser à attendre à demain pour me faire guérir ?
— Là n’est pas la question, répliquèrent les curés juifs tatillons. On prétend que ce Jésus a employé des remèdes ; par conséquent, il a exercé un métier, il a travaillé, et cela un jour de chômage.
— Mais il ne m’a pas demandé un sou pour sa peine !
— Peu importe. Oui ou non, s’est-il servi d’un onguent quelconque pour vous guérir !
— Un onguent !… Si de la boue, c’est un onguent, alors !…
— Sans aucun doute.
— Ça va bien, je ne dis plus rien… Et mon caniche, qui s’est baigné avec moi dans la piscine, n’allez-vous pas lui trouver à redire, à lui aussi ?
Les sanhédrites se consultèrent.
— Ce Jésus n’est pas envoyé par Dieu, firent les uns, puisqu’il n’observe pas le sabbat, qui a été institué par Moïse au nom de Dieu.
— Mais si son onction était un péché, répliquaient les autres, il serait un pécheur, et Dieu permettrait-il à un pécheur d’opérer des prodiges ?
Voyant qu’ils n’étaient pas d’accord entre eux, les sanhédrites posèrent à l’aveugle une nouvelle question :
— Quel est ton avis sur celui qui t’a ouvert les yeux ?
— S’il vous plaît ?
— On te demande ce que tu penses de cet homme qui t’a ouvert les yeux ?
— Pardon, je vous prie de ne pas me tutoyer, d’abord. Quant à mon opinion sur mon guérisseur, c’est, primo, que j’ai eu affaire à un homme charmant, et, secondo, que c’est un prophète. Là, êtes-vous contents ?
— Ta, ta, ta, l’ami, objecta un vieux du conseil, vous causez avec trop d’aplomb pour ne pas être un compère de votre soi-disant prophète.
Il y eut un murmure d’approbation parmi la majorité des sanhédrites.