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LA VIE DE JÉSUS

Ô mon père, mon père, que votre volonté s’accomplisse, et non la mienne !

L’ange approcha de ses lèvres le calice d’amertume et lui en fit avaler une gorgée.

— Pouah ! que c’est mauvais !

Et il se leva, en exprimant de la bouche une grimace horrible. « Il retourna alors vers ses disciples, cherchant quelque allègement à sa peine ; mais ce ne fut que pour sentir plus vivement la solitude et l’abandon. »

Pierre, qui avait tant fait ses embarras quelques heures auparavant, ronflait comme une toupie d’Allemagne. Jacques, qui se disait si vaillant, et Jean, le disciple bien-aimé, l’imitaient, et leurs ronflements sonores répondaient à ceux de Simon-Caillou. C’était un trio qui, pour tout autre que Jésus, aurait été très divertissant à entendre.

— Eh bien, en voilà, des fumistes ! se dit Jésus. Je leur avais demandé de ne pas me laisser prier seul et de me soutenir par leur présence. Ils avaient l’air d’être animés d’un beau zèle, et je ne les ai pas plus tôt quittés qu’ils se sont mis à roupiller. Ils se prétendent courageux… Quelle présomption !… Ça, des hommes ?… Ce sont tout au plus des marmottes !…

Il secoua Pierre de la belle façon.

— Simon, tu dors ?

Pierre se réveilla et se frotta les yeux.

— Qu’est-ce que c’est ? qui va là ? que me veut-on ?

— C’est moi ton Seigneur et ton Dieu… C’est moi, Jésus…

— Oui, je sais… Et vous désirez ? Qu’y a-t-il pour votre service ?

— Rien. J’étais venu voir seulement si tu avais triomphé du sommeil, si tu veillais, si tu priais, ainsi que je te l’avais dit…

— Parfaitement, Seigneur… Je veille… je prie… je pense à vous.

— Blagueur ! tu poussais des ronflements à couvrir le bruit du tonnerre, s’il faisait un orage…

— Ma parole, Seigneur ! je venais à peine de m’assoupir.

— Va conter cela à d’autres !…

— Patron, je vous jure…

— Ne jure pas, tu agraverais ta faute… Et tes compagnons, dorment-ils, eux aussi ! De beaux disciples que j’ai là !…

Il les réveilla à leur tour et les gourmanda :

— Veillez et priez, vous dis-je ! J’ai absolument besoin de vous sentir là. Veillez, afin de ne pas tomber dans la tentation.

Pierre aurait pu répliquer :

— Si nous dormons, nous ne risquons pas d’y tomber.

Mais il ne répliqua rien.

— L’esprit est prompt et la chair est faible, ajouta Jésus en retournant à son poste.

Il paraît qu’il n’avait pas vidé complètement le fameux calice d’amertume.