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LA VIE DE JÉSUS

— Tiens, répondit-elle, avec une pointe d’ironie, vous êtes juif, et vous me demandez à boire, à moi qui suis samaritaine ?

Il est bon que le lecteur sache qu’une inimitié sourde régnait entre les samaritains et les juifs. Les orgueilleux enfants de la Judée affectaient de considérer leurs voisins du pays de Samarie comme des êtres indignes de vivre.

Mais Jésus n’était pas d’humeur à faire le fier ; il avait trop soif. Et voyez à quel point l’aventure était étrange : ce prestidigitateur émérite, qui avait su si bien fabriquer du vin aux noces de Cana, n’était plus capable, à Sichem, de se fabriquer de l’eau.

Il tirait la langue, le pauvre sire. Aussi, pour avoir quelques gouttes du liquide dont son gosier desséché avait besoin, essaya-t-il de se rendre intéressant.

— Ah ! riposta-t-il à la Samaritaine, il y a eau et eau, comme il y a fagots et fagots. Je vous demande à boire, et vous avez l’air de me refuser. Si vous saviez quel est celui qui vous parle, au lieu de lui refuser à boire, c’est vous qui lui demanderiez de l’eau vive.

— Vous me la baillez belle, fit la Samaritaine, avec votre eau vive ! Et comment en tireriez-vous de ce puits si profond, vous qui n’avez pas le moindre seau ni la moindre cruche à votre service ? Êtes-vous donc plus malin que notre ancêtre Jacob qui nous a légué ce puits et qui y a bu, ainsi que ses fils et ses troupeaux ?

Tout en disant cela, la belle enfant avait ramené sa cruche remplie, et, pas mauvaise fille au fond, elle en approcha les bords de la bouche de Jésus. Celui-ci se désaltéra.

Puis :

— Entendons-nous ! repartit-il. L’eau que vous venez de tirer de ce puits est une eau qui ne calme pas absolument la soif, tandis qu’avec l’eau dont je parle on est pour jamais désaltéré. Si je vous faisais boire à ma source, vous en auriez pour l’éternité à ne plus en réclamer une goutte !

— Il est drôle, ce gaillard-là, pensa la Samaritaine.

Et elle ajouta à haute voix :

— Pendant que vous y êtes, vous devriez bien m’en donner un peu de votre eau, afin que je ne connaisse plus jamais la soif.

Jésus cligna de l’œil.

— Allez me chercher votre mari, dit-il ; je serais bien aise de faire sa connaissance.

La Samaritaine partit d’un éclat de rire.

— Mais je n’ai pas de mari ! fit-elle.

— À qui le racontez-vous ? répliqua Jésus. Vous n’avez pas de mari ? Parbleu ! vous ne les comptez plus, ceux qui vous ont épousée. Vous en avez eu deux, trois, quatre, cinq, une ribambelle ; et celui que vous avez maintenant n’est pas votre mari. Je m’y connais, la petite mère !