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LES TROIS COCUS

— Oh ! vous exagérez…

— Non pas, cher maître. Tenez, combien de temps parlerez-vous aujourd’hui ?

— Dame, une heure et demie au minimum.

— Parions que durant cette heure et demie votre éloquence ne faiblira pas une seconde. Sapristi ! c’est que je vous ai déjà vu à l’œuvre. Vous vous appréciez moins, à coup sûr, que je vous apprécie.

L’imbécile Bredouillard était enchanté, ravi. Il s’imaginait être le maître suprême de la parole, et il y allait carrément de ses deux heures de plaidoyer. L’audience, de M. Mortier d’une part, de Mme Mortier, d’autre part, en était d’autant plus allongée.

Le soir, celui des deux substituts dont les vœux avaient été comblés par la belle Marthe, disait à l’autre :

— Le président n’est rentré qu’à sept heures, Bredouillard a donc donné ?

— Parbleu !

Les deux amis échangeaient une poignée de main et un sourire.

Mais le côté le plus comique de la situation, c’est que, pendant que Belvalli finissait de flirter avec la présidente, c’était le président qui portait à madame le nouveau rendez-vous de Saint-Brieux ; et réciproquement.

Voici comment le truc se pratiquait :

Il y a au Palais deux vestiaires : le vestiaire de la magistrature, et celui du barreau. Par conséquent, le parquet et le tribunal accrochent leurs chapeaux dans la même salle.

Pendant l’audience, le substitut griffonnait son billet doux. Lors de la délibération, il filait prestement au vestiaire, faisait semblant de farfouiller dans ses effets civils et glissait la missive dans la bordure intérieure de la coiffe du chapeau présidentiel.

Quand M. Mortier arrivait le soir chez lui, Mme Marthe s’empressait :

— Isidore, que je te débarrasse de ta canne et de ton chapeau !…

Isidore était charmé.

— Quelle perle que cette femme ! murmurait Isidore.

Et Mme Marthe prenait adroitement sa correspondance dans l’ingénieuse boîte aux lettres. La réponse s’effectuait invariablement par retour du courrier.

Une fois, l’audience avait été tellement longue, et le substitut avait eu tant de choses à écrire, que, la corres-

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