Page:Léo Taxil - Les trois cocus.pdf/255

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
243
LES TROIS COCUS

jou avait constaté, sans que sa femme le sût pourtant, qu’elle lui en faisait porter.

C’était vrai, ça ! Les pièces de quinze centimes pleuvaient, depuis ce jour-là, dans sa caisse, avec un entrain admirable.

L’établissement était admirablement situé.

À deux pas du temple de l’agiotage, il avait la clientèle attitrée de tout ce monde étrange qui en fréquente les parvis.

Mieux que personne, mieux qu’un agent de change même, Achille Sapajou connaissait les cours. Suivant que c’étaient les haussiers ou les baissiers qui se précipitaient chez lui, il savait à quoi s’en tenir sur les fluctuations de la Rente.

Or, depuis quelque temps, les haussiers donnaient beaucoup. Il s’était fondé une certaine maison de banque catholique, sous le nom de l’Union générale, laquelle avait semblé au premier abord devoir devenir maîtresse du marché.

Ses actions faisaient prime. On se les arrachait. C’était du délire.

— Bel enthousiasme ! mais ça ne durera pas, disait Achille Sapajou, qui avait du nez.

Et les actions de l’Union générale montaient toujours.

Puis, un beau matin, selon les prévisions du directeur du Général Cambronne, la chance tourna. Il y eut comme un vent de baisse qui commença à souffler sur la grande majorité des valeurs.

Ensuite, cela prit l’air d’une véritable débâcle.

Achille Sapajou dit à sa femme :

— Je flaire une catastrophe, Mélanie. Il faut faire, dès ce soir, la tournée de fous les kiosques des boulevards et ramasser tous les bouillons du Mot d’Ordre ; sans cela demain nous manquerons de papier.

— Tu crois, Achille ?

— Je le sens, et j’ai peur même que le Mot d’ordre ne suffise pas.

— Cependant, c’est le journal de Paris qui donne la plus grande quantité de bouillons. Rien qu’avec les invendus de cette feuille, il y aurait de quoi frictionner tous les derrières de l’arrondissement.

— Je ne dis pas non ; mais il y a dans l’air une baisse qui fera époque.

— Et tu crois que le Mot d’Ordre

— Oui, je crois qu’il ne suffira pas.

— Alors, c’est que ce sera quelque chose d’épouvantable !