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ALPHONSE DAUDET

maison me sont d’un grand secours. Le sentiment de la responsabilité suffit à tenir l’homme debout, lorsque ses forces l’abandonnent. Puis, je songe à mes congénères, si la misère se joint à leur supplice, s’ils n’ont point le secours du feu, de la viande, du vin, de la chaude affection… et je m’estime encore heureux. Je préserve ma pitié en me répétant qu’il est des détresses pires que la mienne, et je ne l’use point toute pour moi.

— Tu sais que la pitié fut, par beaucoup de philosophes, bannie de leur république, comme une faiblesse, un avilissement, comme une défaite de l’énergie.

— Le marchand de bonheur prêcherait la pitié active et non les larmes inutiles. À celui qui souffre, la souffrance est toujours nouvelle. Pour les témoins, même empressés et tendres, la souffrance vieillit et tombe dans l’habitude. Je dis au malade : Distrais-toi et lutte par l’esprit jusqu’au bout. Ne fatigue point, ne harcèle point ton entourage. Les stoïciens avaient découvert le plaisir qui réside dans l’exercice continu de l’énergie. Au patient doué d’imagination, je suggérerai mille artifices. À celui qui ne mêle point le rêve au réel, je conseillerai de regarder en face sa douleur jusqu’à ce point où la beauté de la lutte apparaît et grandit tout. C’est une griserie particulière qui rend les moins subtils étrangement