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Page:Léon Daudet – Alphonse Daudet.pdf/108

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ALPHONSE DAUDET

quées, discrètement, avec une sagacité de clinicien poète. La plupart de nos voisins d’hôtel, quelques-uns étrangers, d’Amérique, d’Espagne, de Russie, s’arrangeaient pour faire coïncider leur traitement avec celui du romancier qui les rassurait, les rassérénait, complétait l’œuvre du docteur. Quelques-uns se confiaient à lui avec un zèle de détails, cette ardeur, cette fierté bizarre qu’ont les porteurs d’une maladie grave et mystérieuse encore. Les troubles nerveux les plus étranges, les manies, les craintes, les désordres chroniques ou soudains, il notait, classait, comparait, et souvent ces déviations de la nature l’aidaient à comprendre la nature, lui éclairaient une région obscure, servaient sa perpétuelle enquête. « Le mal dans la famille et dans la société », les modifications qu’il apporte aux caractères, aux tempéraments, aux métiers, l’ingéniosité des égoïstes, des riches et des pauvres, voilà surtout ce qui le passionnait, l’enfiévrait, ce qu’il recueillait à toute heure, avec une méthode et un scrupule extraordinaires.

Ce sont des vies entières résumées en quelques traits, des « avares devenus prodigues », des « violents devenus timides », des « chastes tourmentés de passions inavouables ». Les initiales me rappellent des noms, des figures, de douloureuses silhouettes. Un mot évoque tout un être :