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ALPHONSE DAUDET

L’axiome célèbre « poésie, c’est délivrance », il l’appliquait à la douleur. De là, ce projet d’un livre, La Douleur, dont il avait recueilli les éléments mais que, sur nos prières, il ne publia point. J’ai là, devant moi, ce terrible, cet implacable bréviaire ; certes, il fallait un fier courage pour se délivrer ainsi, mais n’ai-je pas déjà signalé, chez mon père, l’âpre besoin de confession ? La science a, de nos jours, pris des allures prétentieuses. Elle a su conquérir l’esprit. Alphonse Daudet était trop sagace pour croire aux étiquettes de la psychologie, de la physiologie, de la pathologie, que le vent balaie, que la pluie efface. Le dogme étroit d’Auguste Comte n’avait point eu de prise sur cette imagination toujours claire, toujours en marche, et qui ne se payait point de grands mots. Nous nous divertissions ensemble de cette audace à tout expliquer et systématiser, qui est la marque du pédant moderne : « la paille des termes pour le grain des choses », d’après Leibnitz. Il avait eu de longues conversations avec Charcot, puissant et lucide, avec Brown-Séquard, tourmenté de génie, avec Potain, le maître des maîtres, chez qui la pitié s’est augmentée sans cesse avec la connaissance. Il n’ignorait donc rien, de cet autre côté de la médaille humaine qui porte des signes différents et nous renseigne par d’autres voies. Sa force de compréhension l’avait servi