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ALPHONSE DAUDET

affirmer que le sens de la justice fut au talent de mon père le stimulant le plus certain et le plus vif. Si les qualités morales imprègnent jusqu’à la manière, j’ajoute, sans crainte d’erreur, qu’il eut le style de la justice.

Les plus petits épisodes de la vie nous le montrent passionné pour ce qui est vrai, irréconciliable adversaire de ce qui est faux. Nul plus que lui ne reconnaît ses torts, nul n’avoue mieux s’être trompé. Il répète à satiété : « Ce me serait un martyre que de m’entêter à une opinion inique. » Dans les multiples débats de famille, on le prend comme arbitre. Il « s’assied sous le chêne », c’est-à-dire qu’avec une extrême patience il écoute et pèse les griefs, tournant et retournant sa plume ou son monocle, le visage légèrement incliné… parfois dans son regard un prompt sourire.

Une fois renseigné, il réfléchit quelques secondes, puis, sans solennité, mais avec une douceur grave qui impressionne, il émet son avis et l’explique.

Il est bien rare qu’il ne convainque pas. J’ai cherché à me rendre compte de son action immédiate sur un jeune homme violent tel que moi, qu’aveugle souvent le parti pris : j’ai trouvé deux raisons : l’une instinctive et l’autre morale : la première est le son de voix ensorcelante, et telle