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ALPHONSE DAUDET

peut-être qu’un sens très profond de la race et des origines. Gœthe, c’est l’âme allemande entière. Il semble que le sang de lord Byron charrie en lui la furie anglo-saxonne, les images exaspérées de tout un peuple. Mistral est le miroir complet du midi… »

Après quelques minutes de réflexion, il continuait avec modestie :

« Descendons des grandes choses aux petites. Quand je veux me monter le cerveau, me donner du ton, c’est aux spectacles de ma jeunesse que j’ai recours. C’est une habitude de mon esprit de localiser tous les sentiments. Les mots « amour », « félicité », « joie », « désir » ne demeurent point en moi à l’état abstrait. Ils prennent des figures, participent à des épisodes. Or, la lumière qui les environne est toujours celle de mon pays. C’est sous le ciel de Provence que je place les traits d’héroïsme, d’abnégation, de générosité. Pour que je vienne en état de transe, d’inspiration, il me faut le soleil de là-bas, et, jusque dans l’extrême douleur, je me représente des routes chauffées à blanc, d’une intensité crue qui me désespère et me brûle. »

Il célébrait la chaleur : « Elle mène le tempérament à la fleur, au fruit, à l’éclosion. Elle donne à l’être son parfum intime et aux sentiments leur véhémence. Accumulée dans l’individu et la race,