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NORD ET MIDI

elle agit comme un alcool plus subtil, comme un opium délicat, elle transfigure, elle divinise. Elle n’efface pas les nuances du caractère ; elle les rend plus fines et presque fuyantes ; comme dans les forêts des tropiques, elle suscite le réseau des lianes, en même temps que l’armée des géants ; et le lourd serpent s’assoupit, par excès dg bien-être, tandis que chatoient ses écailles. La fainéantise méridionale a inventé le « cagnard », le petit coin de roseaux de canne où l’on s’engourdit, comme le boa, où l’on se rôtit au soleil. »

Puis son visage s’assombrissait : « Ces sensations-là se paient plus tard. Le nord homicide nous attaque, nous, les transplantés, avec ses brumes, son vert rhumatisme, ses pluies tristes et ses frimas. Détrempés au dehors, nous brûlons au dedans, sous l’action continue de notre alcool, le soleil, en proie à une nature disparate. Alors les impressions s’affinent. Le nord, bien plus que le paresseux et voluptueux midi, est difficile sur le choix des mots, leur valeur et leur emplacement. C’est le supplice de Baudelaire qui connut, grâce au voyage, l’excessive nature, l’empire de la chaleur, et, revenu chez lui, chercha dans le vocabulaire, au prix de son cerveau, les prestiges évanouis :

« Le monde s’endort, — dans une chaude lumière. »