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ALPHONSE DAUDET

Aussi ces « transplantés » avaient toute sa tendresse : « Le mystère des origines est tel que parfois un voyageur, dans un pays lointain, retrouve sa race ignorée, son sang, tout ce qu’il aima et admira, dès le berceau, mais ne connut que par le rêve. Quelle ivresse alors de vivre au milieu du prodige réalisé, de respirer les parfums, de savourer les paysages qui semblaient réservés au royaume illusoire ! La musique parfois m’exalte ainsi. J’entre dans ces états de l’âme dont me séparaient mille portes closes, à travers lesquelles ne m’arrivaient que des murmures confus et vagues. Et, quand on revient de là, c’est une douleur de retrouver le monde ordinaire, où la beauté est rare, où les transports sont fugitifs. »

Je profitais de ces heureuses dispositions pour lui démontrer que la métaphysique est, elle aussi, une griserie très voisine de la musique et peut donner des jouissances semblables. Mais lui : « Si je te comprends, ces jeux du raisonnement peuvent aboutir à un état, que nous retrouvons d’ailleurs célébré dans le bouddhisme, état incolore, sans joie ni douleur, où passent, comme des étoiles, les rapides splendeurs de la pensée. Eh bien ! l’homme du midi est rebelle à ces paradis. La veine de la sensation vraie est chez nous franchement, perpétuellement ouverte… Mais ouverte à la vie… L’autre côté, celui qui tient à l’abstrac-