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NORD ET MIDI

« Et celui qui n’est pas hanté par le besoin d’exactitude, par le détail vrai, le relief vrai, celui-là n’est pas un romancier. »

J’ajoute ici une remarque qui, fréquemment, revenait sur ses lèvres :

« C’est une erreur des prosateurs de croire que le don du style donne le pouvoir de créer des types : ce sont des moyens tout différents. En général, un homme de talent peut se raconter lui-même, et, s’il est adroit, il donnera des titres et des mobiles divers à diverses parties de son être. Il se partagera en plusieurs morceaux, quelques-uns antithétiques, lesquels batailleront, discuteront, agiront, parfois avec éloquence, mais sans nous donner l’illusion de la vie. Ces écrivains-là, je les appelle des essayistes, et je préfère de beaucoup leurs études de morale ou de littérature à leurs tentatives créatrices qui, le plus souvent, avortent, ou dévient, ou s’arrêtent à moitié chemin

« Quant au romancier, c’est une autre affaire. L’imagination lui est nécessaire, parce qu’il doit sans cesse reconstruire un animal avec un os, forger un sentiment d’après un regard, un mot, un geste, deviner, sur une altitude, une passion ou un vice, donner à son récit cette harmonie et cette ampleur qui généralisent un événement particulier, et, derrière les personnages, tracent les signes de la fatalité sur le mur.