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ALPHONSE DAUDET

« La justesse lui est nécessaire, parce qu’il ne doit désaccorder ni ses héros ni ses héroïnes, qu’il doit leur conserver leur son logique et sentimental, que, sous peine d’éloigner le lecteur, il doit respecter les conditions de la vie et de la vraisemblance, parce qu’enfin il lui faut sauvegarder avant tout l’architecture de son œuvre, et cette structure intime sans laquelle il n’y a que désordre et gâchis.

« L’observation lui est nécessaire, puisque c’est elle qui fera, de chaque caractère, un miroir où se reconnaîtra l’humanité, puisqu’elle enrichira le récit, l’émotion, et jusqu’au pathétique, de circonstances singulières et directes.

« Mais, plus que l’imagination, que la Justesse et que l’observation, une autre vertu est nécessaire qui n’a plus de nom, ni d’étiquette, qui, cependant, est la première ; cette faculté d’hypocrisie (prenons le mot dans son sens grec), qui permet à l’auteur de se glisser dans la peau de ses personnages, de s’approprier leurs tournures d’esprit, leurs habitudes, leurs gestes, de parler selon leur formule ; cette faculté qui fait que Shakespeare est successivement Antoine et Cléopâtre, Hamlet, Desdemona et Polonius ; que Balzac est Lucien de Rubempré, Anastasie de Restaud et Vautrin, ou, à quelques secondes d’intervalle, de Marsay et l’inoubliable Fille aux yeux d’or.