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ALPHONSE DAUDET

même plan, il rend l’illusion facile ; il ramasse l’individu dans le moment, il lui simplifie l’avenir, doré comme lui, tiède comme lui, hérissé comme lui de sensations vives et bruyantes. En jets, en nappes, en gerbes il projette les sentiments devant la conscience éblouie, les déploie en magnificence, les décuple en rapidité, et favorise cette frénésie où se mêlent la pudeur et l’héroïsme, la générosité et la crainte, la verve et la timidité en une foule souvent ironique.

« Cette foule est celle de l’être lui-même. [Ici, mon père prend un regard particulier et appuie sur les mots, comme lorsque son discours touche un point capital]. Certes, tout homme la sent en soi, vivace et bruyante ; on est stupéfait, aux heures passionnées, de la multitude qui s’agite dans les ténèbres de la conscience, et où il semble que revive la cohorte oubliée des ancêtres ; c’est un frisson, un chuchotement universel. Puis, une tendance se dessine et devient le meneur de la foule. La décision est l’acte de ce meneur. L’hésitation est un débat entre des tiraillements héréditaires.

« Or, chez les méridionaux, la foule de l’être apparaît dans une fulguration brève et cuisante comme une douleur. Le déclic instantané de la décision provoque ce désordre du visage et du geste, cette ardeur de colère ou d’amour qui