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DE L’IMAGINATION

l’assimile aux forces naturelles, dans leur grâce alerte et prompte.

J’ai connu des fébriles, des frénétiques de causerie, dont la verve était admirable. À travers leur grandiose esprit, comme par une porte de la vie, s’écoulaient en se bousculant les foules du souvenir et de l’improvisation, et le souvenir était ailé, délicat, inoubliable, et l’improvisation roulait avec un grondement de torrent, enrichie par la circonstance, ce que le ciel et les regards, l’eau, le geste et les plaines ou les rues apportent au causeur heureux, quand le trépied de son éloquence vibre bien, et que son contradicteur l’allume.

J’ai connu de pesants chariots, lourds à se mettre en marche, mais qui ensuite secouaient le sol, comme des phénomènes de la nature, et j’ai connu d’adroits sagittaires dont les traits montaient jusqu’à l’infini, comme l’ hirondelle par les beaux jours. J’ai connu des subtils, qui parlaient par symboles et signes de signes, comme les Japonais travaillent le jade ou l’ivoire, et des amateurs de clarté qui trouaient les pires ténèbres de leurs métaphores embrasées.

J’ai connu des savants, maintenus par le fait, et scrupuleux jusqu’au délire, et des poètes que rien n’arrête et que l’absurde surexcite ; et toutes ces voix, lourdes, graves, aiguës, légères, enfiévrées, calmes, mordantes, nasillardes, ont en ma mé-