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DE L’IMAGINATION

moire une telle intensité qu’elles viennent parfois troubler mes rêves.

C’est avec mon père que j’ai causé le mieux et le plus. Parmi tant d’élogieuses vérités que mon rôle de fils me défend, je ne me permettrai que celle-ci, de dire qu’il fut inépuisable, et toujours prêt, qualités merveilleuses qu’appréciera tout bon causeur. En outre, dans le foyer des idées et du verbe, il jetait du bois sans s’arrêter, pour que la flamme soit toujours haute et claire. Enfin il écoutait son partenaire, et ne l’entraînait pas sur ses terres, comme certains bavards égoïstes. Tout domaine lui plaisait, qu’il fertilisait aussitôt, grâce à une imagination inconcevable.

Et ce fut justement l’Imagination, notre sujet le plus fréquent, matière grasse et riche, sans fond, qui ne lasse point. Elle entoure le monde par l’homme, et dans l’homme elle fait tenir le monde. Elle est le réservoir des poètes, des héros, de toutes beautés. Elle seule rend possible l’existence, sans elle plate, monotone et noire. Elle seule donne du prix à l’amour, à la mort même et au néant.

Qu’on nous suppose donc, mon père et moi, nous promenant bras dessus, bras dessous dans le jardin de Champrosay par ces matins d’été en or clair, où chaque feuille abrite un oiseau. Je suis encore mal réveillé après douze heures d’un sommeil sans