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DE L’IMAGINATION

vient, car elle doit redouter les axiomes, déductions, formules et autres menottes. Elle doit porter la ceinture lâche. Pascal, qui l’a enrichie de quelques découvertes admirables, avait cependant l’imagination trop mathématique pour elle. Comme elle est la science de la vie, ce qui lui est nécessaire avant tout, c’est une imagination vivante.

Moi. — La crois-tu, cette science-là, destinée à un grand avenir ?

Mon père. — Plus grand qu’aucune autre. Depuis Auguste Comte et la Philosophie positive, les savants des sciences exactes s’imaginent que leurs progrès sont continus et indéfinis. Et ils regardent avec mépris les artistes, qui, disent-ils, ne progressent point. D’abord ne progressons-nous point ? sommes-nous stationnaires ? et n’est-il pas possible, sur la longue histoire des lettres et des arts, d’observer certaines modifications de ce Sensible et de cette Imagination dont nous nous entretenions tout à l’heure ? C’est un problème tout nouveau et qui ne manquerait pas d’intérêt.

Mais, en dehors de cela, il ne me paraît pas démontré du tout que le progrès scientifique soit continu et indéfini. En science comme en art, tout esprit original tend à quitter les routes frayées par ses devanciers, pour se tracer un chemin per-